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— Oui, monsieur, je lui ai serré la main, je m’en fais honneur, et je serai le premier à le dire au Roi.

— Le premier, non, répliqua M. de Polignac en s’éloignant, pour aller raconter à un autre comment le refus du duc de Raguse était d’autant moins justifiable que, l’ordre d’arrêter ces messieurs étant donné d’avance, on devait reconnaître le doigt de Dieu dans leur présence aux Tuileries. Il les y avait amenés tout exprès pour subir leur sort ; mais il y avait de certains hommes qui ne voulaient pas reconnaître les voies de la Providence !


M. de Glandevès me raconta aussi le désespoir de ce pauvre maréchal, et la façon dont il était entouré et dominé par les ministres qui ne lui laissaient aucune initiative, tout en n’ayant rien préparé. A chaque instant, il lui arrivait des officiers :

— Monsieur le maréchal, la troupe manque de pain.

— Monsieur le maréchal, il n’y a pas de marmite pour faire la soupe.

— Monsieur le maréchal, les munitions vont manquer.

— Monsieur le maréchal, les soldats périssent de soif, etc.

Pour remédier à ce dernier grief, le maréchal supplia qu’on donnât du vin des caves du Roi pour soutenir la troupe, sans pouvoir l’obtenir. Ce fut Glandevès qui fit apporter deux pièces de son vin pour désaltérer, et alimenter un peu les soldats qui se trouvaient dans la cour du palais.

Notez bien que ces pauvres soldats ne pouvaient rien se procurer par eux-mêmes, car pas une boutique n’aurait été ouverte pour eux.

Voici comment M. de Glandevès me raconta l’événement du matin. Après une tournée faite avec le maréchal aux postes environnant les Tuileries, pendant qu’ils attendaient bien anxieusement les réponses aux messages portés à Saint-Cloud par MM. de Sémonville et d’Argout[1], ils rentrèrent à l’État-major.

Le maréchal lui dit :

— Glandevès, faites-moi donner à manger, je n’ai rien pris depuis hier, je n’en puis plus.

— Venez chez moi, tout y est prêt, ce sera plus vite fait.

  1. Antoine-Maurice-Apollinaire, comte d’Argout (1782-1858).