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la veille et du matin, ils devaient leur importance à ce que seuls ils portaient un uniforme. Les défenseurs des barricades les appelaient : « Mon petit général, » et leur obéissaient d’autant plus implicitement que le genre de leurs connaissances était aussi fort utile à la prompte construction de ces barricades. Ils aidaient à les faire et à les défendre.

Au surplus, c’est une circonstance assez remarquable que la considération accordée par le peuple, à cette époque, aux personnes qui semblaient appartenir aux classes plus élevées de la société. Tout homme ayant un habit, et voulant se mêler à un groupe, commandait sans difficulté les gens en vestes.

Je me sers mal à propos du mot en vestes ; le costume adopté était un pantalon de toile et une chemise avec les manches retroussées. Il faisait, à vrai dire, une chaleur étouffante. Souvent ces légers vêtemens et les bras mêmes portaient des traces du combat. Les figures étaient noircies par la poudre et pourtant n’avaient rien d’effrayant ; elles annonçaient le calme de la défense et la conscience du bon droit. Une fois la chaleur du combat passée, c’était une ville de frères.

Je reçus quelques visites, la circulation se rétablissait pour les piétons. M. de Salvandy arrivait d’Essonnes, il y avait été la veille au soir. Sur toute la route, on s’était précipité au-devant de lui pour demander des nouvelles. La population des campagnes partageait les sentimens et la confiance de celle de Paris. On s’adressait à lui, un passant inconnu, ne doutant pas "qu’il ne formât des vœux pour le succès des efforts parisiens ; partout il avait vu les hommes se préparant à y joindre les leurs.

A Essonnes, la garde nationale s’était emparée de la poudrière ; au risque de tous les dangers d’une pareille entreprise, avait rempli un grand bateau de poudre et le conduisit sur la rivière couvert de banderoles tricolores, aux cris de : « Vive la Charte ! » et aux acclamations de toutes les populations riveraines.

Cependant, on ne pouvait se persuader que la Cour tînt la partie pour perdue. Nous pensions que, renforcé par des troupes fraîches, on ferait une nouvelle tentative sur Paris, probablement la nuit suivante.

Je me décidai à sortir sur les trois heures. M. de Salvandy me donna le bras, il ne doutait pas d’une attaque pour la nuit. J’étais logée dans un des endroits les plus exposés si on