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de ses aides de camp qui avait rencontré dans la cour de Saint-Cloud un officier arrivant de Paris et exprimant une joie extravagante.

Etonné, mais incrédule, le maréchal avait envoyé chercher le Moniteur à l’État-major ; on ne l’y avait pas reçu. Puis chez le premier maître d’hôtel ; il n’y était pas arrivé. Enfin il avait écrit au duc de Duras pour lui demander le sien.

J’ai vu la réponse. Elle portait qu’un seul exemplaire du Moniteur était arrivé à Saint-Cloud ; le Roi l’avait reçu et l’avait envoyé, sans l’ouvrir, à Mme la duchesse de Berry.

Le maréchal avait ensuite appris que cette princesse avait rapporté ce fatal Moniteur au Roi lorsqu’il montait en voiture, s’était presque mise à ses genoux, lui avait baisé les mains en disant : « Enfin vous régnez ! mon fils vous devra sa couronne, sa mère vous en remercie. »

Le Roi l’avait embrassée fort tendrement, avait mis la gazette dans sa poche, et était parti pour Rambouillet sans dire un mot aux autres.

A Saint-Cloud, on ne savait ce qui se passait que par les survenans de Paris. Le maréchal, fort en peine, était venu chez lui rue de Surène, avait fait demander le Moniteur à M. de Fagel, le ministre de Hollande, son voisin, et il venait d’en achever la lecture lorsqu’il accourut chez moi.

J’entre dans ces détails parce qu’il est curieux de voir l’incurie avec laquelle on laissait dans l’ignorance l’homme destiné in petto à soutenir le coup d’Etat.

Après ce récit, il ajouta :

— Ils sont perdus. Ils ne connaissent ni le pays, ni le temps. Ils vivent en dehors du monde et du siècle. Partout ils portent leur atmosphère avec eux, on ne peut les éclairer, ni même le tenter ; c’est sans ressource !

— Mais vous êtes perdu aussi, monsieur le maréchal ! Vous allez vous trouver horriblement compromis dans tout ceci. Vous perdez par là votre seule explication pour 1814. Vous compreniez, dites-vous, qu’il fallait vous sacrifier pour obtenir au pays des institutions libérales ! Où sont-elles maintenant ?

Le maréchal soupira profondément : « Sans doute ma position est fâcheuse, reprit-il. Mais, tout en me désolant de ce qui arrive, en regrettant surtout, avec le bien si facile à faire, les maux qui vont tomber sur nous, je suis personnellement plus