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par-devant notaire, la jouissance du ruisselet mitoyen qui arrose leur pré.

O Chateaubriand qui visitais, il y a quelque cent ans, en compagnie de la fille de Céluta et de l’Indien son mari, de la tribu des Natchez, cette mer « dont les torrens se pressent à la bouche béante d’un gouffre, » et qui décrivais, en ta langue d’une poésie si harmonieuse, « cette colonne d’eau du déluge qui descend dans une ombre effrayante ; ces tourbillons d’écume, frappant le sol ébranlé, en s’élevant au-dessus des flots comme les fumées d’un vaste embrasement ; » ou encore « ces aigles qui tournoient, entraînés par le courant d’air, et ces carcajous qui se suspendent par leurs queues flexibles pour saisir dans l’abîme les cadavres brisés des élans et des ours ; » que dirais-tu, conteur pathétique de la touchante Atala, si tu apprenais que, la capacité en chevaux-force de ce Niagara sauvage ayant été estimée à environ 1 200 000, dont le tiers est déjà confisqué et comme embouteillé par quatre compagnies, — l’Ontario Power, l’Electrical Developement, l’Hamilton Cataract Light and Traction et la Canadian Niagara Falls Power, — les amans de la nature se sont émus ; que les maîtres actuels du pays des Iroquois, fils de Washington et de Franklin ou chefs élus de la « Nouvelle-France, » réunis autour d’un tapis vert en commission internationale, se sont attribués, les premiers 20 pour 100, les seconds 80 pour 100 de cette propriété au droit de leur territoire ; mais que ni les uns ni les autres, tout en protestant de leur désir de préserver la beauté des chutes, n’ont pris d’engagement formel pour l’avenir ?

Les États-Unis, ne disposant que du cinquième, ne pourraient jamais tarir que la moindre fraction de ce bief géant par où se débondent les grands lacs ; mais c’est en Canada que sont situées les quatre compagnies déjà exploitantes et c’est du gouvernement canadien qu’elles tiennent leur concession.

Lors de ma première visite au Niagara, j’avais remarqué, à l’honneur des ministres du Dominion, que la rive canadienne s’était gardée vierge des atteintes de la publicité, tandis que la rive américaine était hideusement maculée d’affiches. J’ai constaté, cette fois, que le rocher était dévêtu partout et débarrassé de ses toiles peintes, que le paysage était reconquis des deux côtés. Mais le cas est bien plus grave : la chute fuit. On nous dit que quelques cent mille mètres cubes de plus ou de moins ne