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effet l’une des forces de l’Amérique que l’industrie est encore dans les mains de ceux qui l’ont fondée et qui consacrent à sa gestion toute leur intelligence et leur énergie. Il est possible que les choses changent d’aspect lorsque nous en serons partout à la seconde génération, celle des « fils à papa, » comme dit le vulgaire, qui héritent rarement les qualités peu communes par lesquelles les pères ont su réussir. Platon, dans sa République, recommandait la sélection humaine par l’élimination des mauvais produits. L’Amérique annihilera-t-elle ces mauvais produits humains par l’institution des trusts qui impersonnalise de plus en plus les grandes affaires et ouvre la voie à de nouveaux parvenus sortis du rang ?


VI

Les conditions de la lutte, dans ce nouveau continent, sont tout autres que dans nos vieux pays. Il existe des industries où le travail entre pour une part moindre que la matière ; d’autres au contraire où le prix de la matière est peu de chose par rapport au prix du travail qui la transforme. Pour les premières, la supériorité est acquise d’avance au pays, riche d’une substance à bon marché, qui, lourde ou encombrante, enchérirait beaucoup par le transport en allant se faire travailler ailleurs : c’est le cas des minerais.

Pour les marchandises d’art et de goût, où la matière joue peu de rôle et se rencontre partout, tandis que la main et l’œil de l’ouvrier y sont presque tout, — la céramique, l’ébénisterie, — le pays où les ouvriers capables se contentent du moindre salaire est assuré de la supériorité, voire du monopole. Nulle contrée au monde, je pense, ne saurait faire concurrence à la Perse pour les tapis au point noué, tant que les femmes persanes travailleront pour cinq sous par jour. Entre ces deux extrêmes, prennent place nombre d’industries à grands chiffres d’affaires, comme les textiles, dans lesquelles matière et main-d’œuvre entrent pour une part très variable, suivant les temps et les découvertes scientifiques. Dans le prix du kilo de linge ou de drap d’aujourd’hui, les parts respectives de la matière et de la main-d’œuvre ne sont plus du tout ce qu’elles étaient il y a cent ans.

Mille causes font hausser et baisser et la main-d’œuvre et la matière. Il se peut qu’aujourd’hui la laine brute vaille 1 fr. 50 le