Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucun préjudice aux nationaux ; bien au contraire, si l’on adoptait l’autre méthode, les marchandises, établies plus chèrement, hausseraient et le personnel resterait périodiquement inoccupé.

La concurrence d’une Amérique exportatrice de produits industriels eût semblé tout à fait invraisemblable il y a vingt ans. Il paraît curieux en effet qu’un pays, où les salaires sont deux et trois fois plus hauts qu’en Europe, prétende lutter de bon marché avec l’Europe, soit chez elle, soit chez ses cliens d’Afrique et d’Asie. Tout au plus doit-il être capable de se défendre au moyen de tarifs ultra-protecteurs. Remarquons en passant que le marché intérieur est si vaste et s’accroît si vite, que les barrières de douanes, derrière lesquelles s’abritent les producteurs, ne gênent guère les consommateurs. Mais ces tarifs mêmes, ayant pour effet de renchérir les matières premières venues du dehors, doivent interdire aux objets fabriqués toute tentative d’expansion à l’étranger.

C’est le cas des laines dont les Etats-Unis font grand usage, comme tous les peuples riches, tandis que les populations pauvres, même en climat froid, comme celles de la Russie, consomment surtout du coton. Les filateurs américains, obligés d’importer en laine brute un quart de leur production, l’auraient volontiers introduite en franchise, gardant pour eux seuls le bénéfice de la protection de 108 pour 100 sur les tissus. Mais les agriculteurs ont réclamé leur part de ce droit, sous forme de taxe à l’entrée de la laine en balles. Les patrons français, incapables d’importer leurs étoffes aux Etats-Unis, — ils ne gagnaient plus rien sur les draps communs, — se sont décidés à y importer leurs capitaux. Les fabricans de Roubaix ont fondé des usines à Philadelphie et ailleurs. Nos ouvriers y émigrent aussi ; il y a dix ans, l’ouvrier qui s’expatriait de France était le mauvais sujet, le gréviste permanent, chassé de partout. Maintenant, de bons ouvriers du Nord et du Pas-de-Calais, par groupes de 10 ou 20, s’en vont chercher fortune au-delà de l’Océan.

Les patrons français y lutteraient à armes égales s’ils prenaient le parti d’expatrier non seulement leur argent, mais leur personne. Mais nos concitoyens qui font ainsi travailler leurs capitaux au dehors ne se décident pas à les suivre. Il est rare qu’un de leurs fils, frères ou proches parens, ait le courage de s’installer en permanence à la tête d’établissemens qui, dirigés par des employés, offrent moins de chances de succès. C’est en