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sensible, l’intérêt que l’on trouve à l’employer est d’autant plus grand, que le travail manuel à qui elle se substitue était plus onéreux. Lorsque le linotype par exemple, qui supprimait quatre typographes sur cinq, fit son apparition il y a une dizaine d’années dans les ateliers d’imprimerie, cet appareil de composition mécanique coûtait 15 000 francs. Mais il économisait 72 francs par jour aux États-Unis, où le compositeur gagnait 18 francs ; tandis qu’il n’eût économisé en France que 24 francs. Son prix d’achat devait donc être amorti chez nous trois fois moins vite ; aussi n’y pénétra-t-il que beaucoup plus tard, lorsqu’il devint meilleur marché. Il en sera de même d’un linotype récemment perfectionné qui, au lieu de fondre les caractères ligne par ligne, — ce qui oblige les correcteurs à refondre une ligne entière pour remplacer une seule lettre fautive, — crée séparément et range les lettres une à une.

La vente des appareils nouveaux étant énorme et assurée en Amérique, il y a par suite là-bas beaucoup de profit à imaginer dans toutes les branches de travail, des machines ingénieuses. Cette émulation n’est pas récompensée chez tous. Bien des capitalistes ont englouti des millions en tentatives infructueuses. Un seul crée le type parfait ; la fortune le récompense largement, mais la nation elle-même s’enrichit de son succès. La machine nouvelle abaisse, non là paie de l’ouvrier, mais le coût de la façon ; elle augmente ainsi la production en alléchant le public par la baisse du prix de vente.

Dans l’industrie du papier, en remplaçant l’intervention manuelle par toutes sortes de combinaisons automatiques, en supprimant tout transport à bras d’hommes, en multipliant les rails, les ascenseurs, les câbles, les moteurs, les États-Unis sont arrivés, par la réduction du personnel, à ce résultat extraordinaire de payer les ouvriers trois fois plus cher que chez nous, et de vendre le papier le même prix que nous, quoique les matières premières aient une valeur semblable en France et en Amérique, et que les produits fabriqués au-delà de l’Atlantique ne le cèdent à aucun égard aux nôtres.

Les Américains n’attendent pas, il est vrai, pour renouveler leur matériel, qu’il soit usé ou seulement ancien ; il leur suffit d’apprendre qu’il en existe un meilleur pour qu’ils mettent aussitôt le leur au rebut. Leur supériorité dans le domaine du machinisme est telle que nombre d’outils exportés par eux en