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favorisées, le public ne voudrait pas qu’on les dissimulât, parce qu’il prétend en profiter seul sous forme d’abaissement des tarifs.

La question, on le voit, est assez claire : à qui, du transporteur ou du client, doit aller le bénéfice actuel et futur des entreprises de transport ? La réponse aussi paraît facile : il semble bien que, dans un pays où les chemins de fer n’ont été dotés d’aucune garantie d’intérêt, et ont supporté seuls tous les risques d’une entreprise ordinaire, ils seraient fondés à en recueillir intégralement les gains. Il n’en saurait être ainsi pourtant ; parce que, — et c’est l’opinion du président Roosevelt, — les chemins de fer existans sont, d’ores et déjà, « investis d’un monopole de fait et que l’État a le droit de limiter les profits particuliers dans une propriété quasi publique. »

Cette évolution de l’individualisme américain nous montre à quel point les phénomènes économiques s’imposent aux peuples, quels que soient leurs tempéramens et leurs doctrines, à quel point ils dominent les conceptions politiques. De ce côté-ci de l’Océan, la dose d’intervention de l’Etat, naturelle et nécessaire pour constituer une société, est depuis longtemps très large. Cette intervention s’est appropriée aux circonstances et a changé de nature, du moyen âge aux temps modernes, perdant du terrain sur quelques domaines, en gagnant sur d’autres. Elle ne peut s’accroître beaucoup, parmi nos vieilles nations, malgré les théories et les systèmes préconisés par de généreux utopistes, parce que l’intérêt général s’en trouverait aussitôt lésé.

Dans cette jeune nation transatlantique, où l’abstention des pouvoirs publics passait pour un dogme, où la liberté absolue des particuliers était le ressort initial du progrès, dans ce pays où il n’est pas sérieusement question de ce que nous appelons « socialisme, » l’intervention de l’Etat se crée pourtant et se développe, dans la mesure où l’intérêt général la suscite, parallèlement aux organismes privés, pour les combattre ou les contenir.


IV

Ceux qui d’ailleurs semblent régner sur les « intérêts, » parce qu’ils détiennent les voies de communication, les principaux métaux et marchandises, et qui semblent régner sur les « idées, »