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maintînt quelque bon ordre et garantît à son voisinage la sécurité ; et l’on jugeait intolérable au XVIIIe siècle le seigneur bourgeois lorsqu’il ne prétendait plus qu’au droit de chasse. En 1870, à New-York, on fermait les yeux sur des spéculations qui frisaient le brigandage ; et en 1907 on s’y scandalise d’agissemens qui n’ont rien de criminel. La morale n’est devenue si sévère vis-à-vis des « surhommes » de la banque et de l’industrie que parce qu’ils sont devenus moins utiles. Depuis que la nation s’est elle-même enrichie, la richesse grandissante de ces pionniers exceptionnels l’offusque davantage, à mesure que leurs services lui semblent moins précieux.

Sous cette nouvelle influence, des lois ont été votées, au parlement de Washington ou dans les États particuliers, et l’on se propose d’en voter encore, toutes ayant pour objet d’immiscer la puissance publique dans cette affaire, hier indépendante, qu’était une entreprise de railways en Amérique. Ces lois n’ont pas été toutes efficaces, ni d’ailleurs toutes appliquées ; si elles l’eussent été à la rigueur, le peuple américain en aurait souffert tout le premier. Ainsi, par crainte des monopoles, on a interdit aux compagnies les fusions et même les ententes ; pour favoriser le trafic local, on leur a interdit l’application de tarifs différentiels aux longues distances. Les compagnies n’en ont pas moins fait l’un et l’autre, heureusement pour les voyageurs et les marchandises qui jouissent aux Etats-Unis de traitemens plus avantageux qu’en Europe.

Aussi longtemps que les chemins de fer demeuraient une mauvaise affaire souvent, une affaire hasardeuse toujours, — parce que la concurrence des lignes nouvelles et l’extension de son propre réseau transformait en quelques années une compagnie prospère en une compagnie en faillite, si bien que, parmi les plus solides d’aujourd’hui, il en est plusieurs qui, depuis vingt ans, sont tombées deux fois en déconfiture et ont dû être « réorganisées ; » — tant que les dividendes étaient tremblans et problématiques, l’opinion ne se montrait pas trop exigeante et la législation sommeillait. Mais, depuis que les chemins de fer, sortis de la période critique, gagnent de l’argent, le public gronde, intraitable, et les magistrats se montrent menaçans.

Un haut fonctionnaire, M. Cléments, membre de cette « Interstate commerce commission, » — organe de contrôle fédéral presque omnipotent, en droit, — déclare récemment, dans une