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n’existe plus, à l’exagération de valeur des chemins de fer. D’où vient cette bizarrerie ? Quelques opérations récentes, plus ou moins correctes, ont déchaîné ce mouvement. Des lignes prospères, accaparées par un syndicat, ont été revendues sous forme d’émissions nouvelles le double ou le triple du prix d’achat.

Par exemple les 540 millions de francs, que valait nominalement le « Burlington and Quincy, » ont été transformés par la compagnie du « Great Northern » en un milliard 80 millions d’obligations nouvelles ; les 375 millions d’actions du « Rock-Island » se sont vus remplacés par 375 millions d’obligations et par 685 millions d’actions nouvelles ; le « Chicago and Altona, » de 150 millions de capital, a été porté à 470 millions par les financiers qui s’en étaient rendus propriétaires. L’on ne voit pas bien ce qu’il peut y avoir de blâmable en de pareils procédés. Ils équivalent au morcellement des titres de nos sociétés favorisées par le succès, dont les parts primitives ont été divisées en quarts ou en dixièmes ; ou encore à la mise en société anonyme d’une industrie privée, dont le capital est toujours plus ou moins grossi sur le papier par la création des « actions d’apport. »

C’est bien là l’inflation, — les dollars of water, — contre laquelle protestent les Américains, et que nous regardons en France comme tout à fait innocente. Peu importe en effet aux tiers que le capital d’une entreprise soit artificiellement majoré ; les actionnaires en seront seuls victimes. Cela ne regarde en rien le public ; ainsi en jugeons-nous de ce côté-ci de l’Océan.

Comment se fait-il qu’on en juge autrement sur l’autre bord de l’Atlantique, dans un pays de liberté illimitée où les chemins de for demeurent une industrie privée ? Et comment ces invectives contre la « surcapitalisation » se produisent-elles dans un genre d’affaires où, depuis quarante ans, des actes fort peu délicats laissaient la masse indifférente ? Ils ne soulevaient de réprobation que lorsqu’ils excédaient le crédit incroyable d’indulgence, ouvert par la jeune Amérique à ses enfans les plus hardis. Il fallait alors qu’un corsaire de Bourse confinât un peu au bandit pour que son coupable pécule fût flétri du surnom d’« argent de sang, » — blood money.

Mais voici qu’il se produit en cinquante ans, aux Etats-Unis, vis-à-vis des riches, le même phénomène qui a mis cinq cents ans à se produire en France vis-à-vis des nobles. Au XIVe siècle, on passait presque tout au guerrier féodal, pour peu qu’il