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et même du sans-gêne, celui où un crieur de journaux peut traverser familièrement le cabinet d’un ministre, sa pacotille sous le bras, entrer par une porte et sortir par l’autre, en offrant sa marchandise, comme je l’ai vu faire à Washington.

C’est pourtant en ce pays ennemi de la réglementation, en ce pays de respect traditionnel de l’Etat pour l’initiative privée, que l’on veut organiser un envahissement méthodique de l’Etat dans le domaine des grandes industries. Le temps est loin où écrivait Tocqueville, où Edouard Laboulaye publiait son Paris en Amérique. Au malaise financier dont souffrent passagèrement les Etats-Unis, la crainte d’une invasion gouvernementale dans la gestion des chemins de fer n’est pas étrangère. Les prétentions des parlemens locaux à cet égard, les polémiques de la presse, ont de quoi inquiéter l’opinion, du moins en apparence ; car je crois bien qu’au fond les adversaires en présence, — railroadmen et politiciens, — ne veulent ni ne peuvent se faire grand mal.


II

C’est une crise de l’individualisme. L’Amérique ne songe pas précisément à détrôner ses « rois, » pas plus ses « rois des chemins de fer » que ceux de l’acier, du cuivre, du pétrole, de la laine, du caoutchouc et autres puissans princes des matières premières. Elle ne commettra pas la faute de remplacer leurs « conseils privés » par des conseils judiciaires. Mais ces monarchies absolues, qui gouvernent, — ou, suivant un délicat euphémisme du Nouveau Monde, « contrôlent » — quelque branche de la production nationale, se transformeront eu monarchies constitutionnelles. Parti de la non-intervention systématique, effacé jusqu’ici dans son rôle de gendarme discret du dedans et du dehors, le type de gouvernement minimum, que Washington fonda et que ses successeurs pratiquèrent, se voit d’année en année poussé à gouverner davantage.

Sa maxime est toujours la même : « L’Etat ne doit pas se mêler de ce qui ne le regarde pas. » Reste à savoir ce qui le regarde. On l’a vu dans le domaine agricole, — par exemple, vis-à-vis des forêts, vis-à-vis des cours d’eau, — se reconnaître des devoirs, partant des attributions, qu’il ne se connaissait pas voici seulement quelques années. Il vient de se découvrir des droits nouveaux vis-à-vis des chemins de fer. Au début, et ce