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s’en débarrassera lui-même. Alors une puissante lame de fond, montant des profondeurs du suffrage universel, emportera dans son onde amère et purifiante tout un personnel politique dégénéré. Alors aussi la République redeviendra peut-être une vérité.

Mais le ministère, hélas ! qu’y peut-il ? Il est l’héritier d’un passé fait de détestables pratiques, d’où sont sorties des mœurs qui ne le sont pas moins, n’en est aussi le continuateur servile. Et c’est là une difficulté de plus à ce rapprochement entre radicaux et progressistes, qui semble être à la fois nécessaire et impossible. Aussi avouons-nous ne pas voir comment il pourrait s’opérer, tout en souhaitant qu’il s’opère, faute de mieux : il ne ferait sans doute pas grand bien, mais peut-être empêcherait-il quelque mal. Si la tentative se poursuit et si elle aboutit, on le devra incontestablement à M. Hervé qui, ayant pris les devans sur M. Jaurès, l’a obligé à courir après lui tout essoufflé : dans ce steeple-chase édifiant, ils ont montré l’un et l’autre où conduisait le socialisme. M. Jaurès, qui, en dépit de sa déchéance intellectuelle, continue d’aimer les belles et nobles comparaisons, a terminé son discours de Tivoli en disant : « Le grand poète Dante raconte, dans un songe de la Vie nouvelle, qu’il a souffert jusqu’à la frénésie en rêvant que l’idéale beauté de Béatrix pouvait périr… Mais l’idéale beauté de la justice sociale, de la révolution prolétarienne ne peut périr : elle est immortelle comme le travail, impérissable comme la conscience, etc., etc. » Telle qu’il nous la montre, cette prétendue beauté a des traits repoussans ; elle fait reculer M. Ranc, qui en a pourtant vu bien d’autres sans sourciller ; elle effraie les radicaux, ou du moins elle les gêne ; et c’est plutôt dans l’Enfer que dans le Paradis de Dante qu’il faut en chercher une image ressemblante.


Les nouvelles du Maroc continuent de préoccuper l’opinion. Justement, à notre avis : toutefois, ce n’est pas parce qu’il y a eu, le 3 septembre, un engagement plus vif que les précédens, et que nous y avons perdu une dizaine d’hommes au lieu de deux ou trois, qu’il y a lieu d’éprouver de l’inquiétude. Ce qui nous surprend, c’est que nous n’ayons pas perdu plus de monde dans les combats qui se sont si rapidement succédé. On ne se bat pas avec l’acharnement des Marocains et avec le courage de nos troupes sans qu’il y ait des morts des deux côtés. Les pertes des Marocains sont infiniment plus élevées que les nôtres. On les estime aujourd’hui à 800 hommes environ : nous faisons d’ailleurs toutes réserves sur ce chiffre que