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ou imaginaires. Et si les générations nouvelles sont certainement plus instruites que leurs aînées, il est malheureusement trop certain, aussi, qu’elles leur sont inférieures au point de vue de la pureté et de la dignité morales. Sans cesse les naissances d’enfans naturels deviennent plus nombreuses, sans cesse la pratique de l’union libre se substitue plus communément à celle du mariage. Les parens se refusent de plus en plus à procréer des enfans ; et lady Bell nous affirme que le taux, toujours très élevé, de la mortalité infantile « est dû à ce fait que, grâce aux assurances, la mort des enfans est devenue pour les parens « ne source de profit. » Une femme dont l’unique enfant venait de mourir répondait aux condoléances des voisins « qu’elle regrettait surtout que son enfant n’eût point vécu jusqu’à la semaine suivante, où aurait commencé à courir le bénéfice de l’assurance. » Une autre femme, s’entretenant avec lady Bell, parlait « presque gaiment » de la mort successive de tous ses enfans. « Cela vaut bien mieux, qu’ils soient tous morts, — disait-elle, avec une touchante ingénuité, — car j’avais pris la précaution de les assurer tous ! »

Et le plus triste est que, tout en ne nous cachant rien de cette propagation rapide et continue de l’immoralité, lady Bell ne peut pas se défendre de la tenir non seulement pour fatale, mais pour excusable : tant le spectacle de la sombre misère des ouvriers de Middlesbrough, de l’abîme de détresse où ils sont plongés corps et âme, l’a pénétrée d’indulgence et de compassion ! Ne pouvant plus désormais concevoir qu’aucun remède ait quelque chance d’enrayer la marche du mal, du moins elle souhaiterait qu’il fût permis à l’ouvrier de jouir librement de toutes les occasions de « divertissement » qui s’offrent à lui. Le cabaret, le champ de courses, le café-concert, elle sent bien que tout cela devrait lui être fermé ; mais elle sent bien aussi qu’il serait monstrueux de vouloir lui fermer tout cela sans avoir, absolument, rien d’autre à lui ouvrir en échange. Et il n’y a point même jusqu’au goût croissant de l’ouvrier pour l’union libre qu’elle ne soit prête à lui pardonner, et jusqu’à son dégoût croissant pour la paternité, en se rappelant combien elle a vu de mariages parfaitement réguliers qui avaient abouti à des catastrophes, et combien elle a connu d’enfans pour qui, sans aucun doute, il aurait mieux valu qu’ils ne fussent point nés. Elle est pareille à ces médecins qui, s’étant décidément convaincus du caractère incurable et mortel d’une maladie, consentent enfin à affranchir le malade de toute la contrainte des précautions et des privations qu’on lui avait imposées jusque-là. Ecoutons-la nous parler du mariage et de l’union libre :