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nécessaires. Nous savons que le maître de la maison est laborieux et sobre, avec un gros salaire, et nous nous étonnons de cet appauvrissement inexplicable, comme aussi de l’expression inquiète et maladive que nous lisons sur le charmant visage de la jeune femme qui nous fait accueil. Soudain nous apercevons, maladroitement caché dans un coin de la chambre, un journal de courses ; et la jeune femme, toute confuse, se décide à avouer qu’il y a plus d’un an qu’elle joue. « Elle a commencé parce que, la première fois qu’un bookmaker s’est présenté chez elle, le hasard a voulu qu’elle fût à court d’argent ; et, depuis lors, elle a continué, à cause de l’excitation et de l’intérêt que cette habitude de jouer apportait dans sa vie. »


En vérité, un seul moyen réussirait, peut-être, à ralentir le désolant progrès de la passion du jeu : un moyen consistant à persuader les enfans de l’immoralité de cette passion, à l’âge où leur cerveau accepte encore tout ce que nous y introduisons sans avoir trop besoin que nous lui en expliquions les motifs. Mais tel n’est pas du tout le point de vue sous lequel le jeu est présenté aux enfans des ouvriers de Middlesbrough. Ces enfans, presque dès le moment où ils ont pris conscience de vivre, jouent à pile ou face, dans les rues, avec des sous qu’ils se sont procurés on ne sait comment ; lorsque les femmes les envoient à l’usine, pour porter le dîner de leurs maris, ils portent en même temps à ceux-ci des messages et des communications de la part des « marchands de tuyaux » et des bookmakers ; en échange de quoi les ouvriers les chargent du soin de placer de l’argent sur tel ou tel cheval : et ainsi ces petits, depuis qu’ils sont au monde, s’accoutument à considérer le pari aux courses comme une chose à la fois excellente et indispensable. Dans un bureau de télégraphe, je vois entrer une petite fille à peine assez haute pour atteindre le guichet. L’enfant se dresse sur le bout des pieds, et tend un papier que je ne puis m’empêcher de lire : c’est un télégramme écrit par sa mère, à l’adresse d’un agent, et contenant des instructions au sujet de la somme à risquer sur un certain cheval.

Je puis et dois le dire sans hésitation : dans notre district de Middlesbrough, tout au moins, une génération est en train de croître qui se trouve délibérément entraînée à parier et à jouer.


Comment s’étonner, après cela, du peu d’efficacité des diverses tentatives faites pour relever le niveau intellectuel et moral de la population ouvrière de Middlesbrough ? On a multiplié les écoles : mais lady Bell, qui a largement contribué à cette œuvre généreuse, est forcée de reconnaître que les résultats pratiques répondent bien peu aux espérances de ses promoteurs. Tout le monde sait lire, à Middlesbrough : mais la plupart des ouvriers ne profitent de leur instruction que pour lire des journaux de sport, ou bien encore des récits de crimes, réels