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nombreuse de parens et d’amis. Par ailleurs, les devoirs de la charité continuent à être largement pratiqués, jusque dans les classes les plus pauvres de la population ouvrière de Middlesbrough ; et peut-être tout le livre de lady Bell ne contient-il pas de pages plus touchantes que celles qui nous décrivent des collectes organisées au profit d’un voisin malade, ou qui nous montrent des familles indigentes se disputant la charge d’adopter une nichée d’orphelins.


Mais il n’en reste pas moins évident et incontestable que la plus grosse responsabilité, dans la misère présente des ouvriers de Middlesbrough, revient à ces ouvriers eux-mêmes. Une personne qui les connaissait bien disait à lady Bell « qu’il y en avait fort peu, parmi eux, qui n’eussent pas entre les mains assez d’argent pour pouvoir vivre commodément, à la condition de savoir employer leur argent. » Et lady Bell n’est pas éloignée d’admettre cette opinion, pour son propre compte, sauf à y ajouter qu’il en est de cela comme de cette possibilité théorique d’éviter les accidens, dont je viens de parler. Certainement l’ouvrier anglais, s’il n’avait point la nature et le caractère particuliers qu’il a, — s’il était fait, par exemple, comme l’ouvrier chinois, ou même l’ouvrier italien, ou même le français, — pourrait tirer un meilleur parti de son salaire, et mettre sa prospérité personnelle au niveau de celle de l’industrie générale de Middlesbrough. Le malheur est que cet ouvrier ne peut pas s’empêcher de demeurer tel qu’il est, avec un tempérament et des habitudes qui lui interdisent tout effort sérieux d’enrichissement. Ni son instinct, ni son éducation ne lui donnent, si peu que ce soit, le goût de l’épargne. Tout l’argent qu’il gagne, force lui est de le dépenser au fur et à mesure ; et l’augmentation de son salaire entraîne, presque nécessairement, une égale augmentation du chiffre de ses dépenses. Rien de plus instructif, à ce point de vue, que la lecture, dans le livre de lady Bell, des « budgets hebdomadaires » d’une dizaine de familles, dont le revenu varie entre 18 et 40 shillings : quel que soit le revenu, toujours les dépenses l’épuisent jusqu’au dernier penny, et souvent elles le dépassent, et précisément dans ceux de ces « budgets » où il est le plus haut.

Car il n’est même pas vrai de dire qu’à l’augmentation du salaire d’un ouvrier réponde, aussitôt, une augmentation égale de sa dépense : mainte fois une telle augmentation a, presque fatalement, pour effet d’accroître les dépenses domestiques dans une proportion excessive ; et lady Bell a vu des cas innombrables où la promotion d’un ouvrier à