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encore apporté à cette étude une franchise aussi entière, un désir aussi scrupuleux de se dégager de tout parti pris ; et je ne crois pas, non plus, que personne ait aussi résolument tâché, ni avec autant de succès, à pénétrer dans l’intimité de l’ouvrier anglais et de sa famille. Peut-être, pour nombreuses que soient les « rues basses » de Middlesbrough, peut-être offraient-elles, au « microscope » de l’observatrice, un objet d’examen plus simple, plus restreint, et plus accessible que les populations ouvrières de Londres ou de Birmingham ; mais le fait est qu’il y a, dans le livre de lady Bell, une abondante série de portraits, d’ « intérieurs, » et de scènes de genre qui nous ouvrent, pour ainsi dire, toute l’âme d’un peuple, en plus des précieux renseignemens positifs que nous y trouvons. C’est dans des livres de cette sorte qu’un lecteur étranger a le mieux l’occasion de découvrir, de toucher au doigt, ce qui constitue l’originalité propre du tempérament et de l’esprit anglais.


Et, d’abord, il pourra sembler qu’une maison de quatre pièces, si petite qu’on l’imagine, et défectueuse au point de vue artistique, ait très suffisamment de quoi loger la famille d’un ouvrier. Pareillement, le salaire moyen de cet ouvrier, tel qu’on nous le présente, pourra sembler plus que suffisant pour son entretien. Sur un total de 1 270 ouvriers, les deux tiers reçoivent, par semaine, entre 20 et 40 shillings ; et, pour une bonne partie de l’autre tiers, les gages s’élèvent jusqu’à 60 shillings. Mais, avec tout cela, l’impression dominante qui ressort du livre de lady Bell est une impression de profonde misère, et d’une misère qui tend à devenir toujours plus profonde, sans que vaillent, à l’atténuer, ni le progrès de la prospérité commerciale de Middlesbrough, ni l’augmentation des salaires individuels, ni l’infatigable effort de la philanthropie publique et privée. D’année en année, la destinée de l’ouvrier de Middlesbrough apparaît plus incertaine, plus exposée au besoin, comme aussi plus dépourvue de lumière et de beauté intérieures. En vain près de la moitié des familles prennent des pensionnaires, deux ou trois jeunes ouvriers qui occupent les chambres du premier étage, et dont la présence a forcément pour effet d’encombrer la maison, au grand dommage du bien-être et de la santé : de plus en plus le manque d’argent se fait sentir, dans ces familles, et, avec lui, le manque de curiosité intellectuelle, et de tranquillité morale, et de plaisir à vivre.


D’un tel état de choses la faute revient, pour une certaine part, aux circonstances extérieures, aux conditions spéciales de la vie des