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ancrées, relativement en sécurité, un certain nombre aussi tout à fait indigentes, et l’immense majorité dans une condition moyenne entre ces deux extrêmes ; une foule recrutée par l’influx continuel d’ouvriers nouveaux, et continuellement occupée à déménager d’une maison à une autre, avec l’espoir obstiné que le simple fait de changer va lui devenir une source d’amélioration. » Et c’est la vie intime et quotidienne de ces familles ouvrières, ce sont les aspects divers de leurs mœurs et de leurs coutumes, de leurs sentimens et de leurs idées, qu’une dame anglaise, lady Bell, vient de nous décrire, après avoir employé de longues années à explorer patiemment les « rues basses » de Middlesbrough. Voici, d’ailleurs, un extrait de la préface de son livre, qui, mieux que tous les commentaires, en révélera l’esprit, et permettra d’en apercevoir le très vif intérêt :


On peut se demander si ce que nous appelons la « prospérité » a pour effet d’empêcher la détérioration de notre espèce, ou ne tend pas, plutôt, à la favoriser ; et si les conditions mêmes qui résultent des progrès du commerce, en multipliant le nombre des ouvriers qui se rassemblent précipitamment dans un endroit donné, et luttent pour leur vie sur un champ donné, ne rabaissent pas, bien plus souvent qu’elles ne le relèvent, le niveau matériel et moral de ces ouvriers. Lorsque nous apprenons que, en telle ou telle année, l’industrie du fer a dépassé, de tant de millions de tonnes, son débit de l’année précédente, et que tant de milliers d’hommes de plus ont trouvé là un moyen de vivre, nous nous réjouissons, et très légitimement, de l’activité commerciale de notre pays. Mais, pendant que nous nous réjouissons, nul de nous ne songe à rechercher combien d’hommes, parmi ces milliers, ont été vraiment rendus heureux par ce développement des « affaires, » ni combien d’entre eux ont pu en tirer parti pour améliorer leur existence, au double point de vue du corps et de l’âme…

J’ai essayé, dans le livre qu’on va lire, de soumettre au microscope une tranche particulière de notre prospérité nationale. Je me suis efforcée de considérer, non pas en général le lot de milliers de travailleurs, mais, en détail, la vie de quelques-uns des individus qui composent ces milliers : car il n’y a que le détail qui nous fournisse une image présente et convaincante de la réalité. La vue d’un homme tué près de nous, par un accident, nous pénètre profondément d’horreur et de pitié, tandis que nous pouvons lire avec calme les statistiques des centaines d’hommes qui ont été tués de la même façon au cours de l’année ; et si nous apercevons, dans une maison d’ouvriers, un petit enfant qui dépérit faute de pouvoir manger à sa faim, ce spectacle nous fait plus d’impression que les listes les plus complètes de la mortalité infantile.


Bien d’autres écrivains, en vérité, avant lady Bell, ont étudié la vie de l’ouvrier anglais, soit à Londres ou dans les grandes cités manufacturières du Royaume-Uni : mais je ne crois pas que personne ait