Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne carrière. On l’appelle aussi « jubilation. » Elle a pour effet, d’après le sentiment des anciens Pères, « d’exprimer la joie profonde de l’âme perdue en Dieu et, par là même, d’inciter l’élévation de l’âme à Dieu. « C’est un exercice ascétique. » N’avions-nous pas raison tout à l’heure, quand, à l’origine et comme au fond de cette virtuosité devenue à la longue artificielle, nous estimions possible de rencontrer une véritable et très pure vertu ?

A propos de la vocalise ou de la jubilation, M. Gastoué rappelle un passage admirable de saint Augustin. « Celui qui jubile, écrit l’éloquent évêque, ne dit pas des mots : car c’est la voix de l’esprit perdu dans la joie, l’exprimant de tout son pouvoir, mais n’arrivant pas à en définir le sens… Et à qui convient cette jubilation, sinon au Dieu ineffable ? Ineffable, c’est en effet ce qu’on ne peut dire ; or, si tu ne peux le nommer et que tu ne doives le taire, que te reste-t-il, sinon de jubiler, afin que ton cœur se réjouisse sans paroles et que l’immensité de ta joie ne connaisse pas les limites des syllabes[1] ? »

On ne saurait imaginer plus belle apologie de la vocalise, ou, comme dit très bien M. Gastoué, de ce « sens vocalique, » issu matériellement des superstitions égyptiennes ou gnostiques, mais qui devait s’élever si haut au service du Dieu véritable. Et même, en y regardant de plus près, on n’aurait pas de peine à trouver dans le texte de saint Augustin, reconnaissant aux sons la puissance et le privilège de dire l’indicible, non seulement une apologie de la vocalise ecclésiastique, mais la définition et l’éloge de la musique elle-même[2].

Avec ces deux élémens, l’un hébraïque, l’autre gnostique, un troisième et dernier se rencontre à la base et comme à la racine de notre chant liturgique : c’est l’élément gréco-romain. Pas plus que l’architecture, la musique du christianisme naissant ne s’y pouvait soustraire. Jusqu’à quel point elle en a subi l’influence ; tout ce que, dans les parties ou les ordres divers de la musique, dans la mélodie, la rythmique, la métrique, le chant de l’Église primitive a retenu du chant de l’antiquité, on le sait depuis les travaux d’un Gevaert et l’espace nous manquerait ici ne fût-ce que pour le résumer. M. Gastoué lui-même n’a fait qu’indiquer ce rapport ou cette filiation. Pour l’établir, ou plutôt la rappeler, il s’est contenté de signaler certaine

  1. Saint Augustin, in Psatm., 99, 4 et 32, I, 8.
  2. Peut-être, si le rapprochement de deux « auteurs » si dissemblables ne devait paraître hasardeux, serait-ce ici l’occasion de rappeler une phrase que Dumas fils écrivait naguère à Gounod : « Vous êtes bien heureux, vous autres musiciens. Vous n’êtes pas obligés d’appeler les choses par leur nom. »