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Mais fréquemment aussi la soirée se passe à de plus graves occupations ; on discute les bulletins, on commente les rapports, on apprécie les événemens survenus. Bien souvent encore, on dresse des tables de jeu, car, nous l’avons vu, Mme de Balbi est joueuse, et elle y met une passion, une furie dont rien ne peut donner l’idée. Monsieur s’amuse beaucoup de ce qu’il appelle ses bacchanales. Lorsqu’elle perd, il lui tient tête, et réellement, lui seul ose le faire, car elle est terrible dans ses emportemens et ses colères.

Mais son crédit auprès du Comte de Provence lui permet de tout braver. Un petit fait, rapporté par Hyde de Neuville, nous montre quel est son empire sur ce prince. C’était au moment où la Révolution s’en était prise, dans sa rage de destruction, au calendrier lui-même, et où, sous sa loi inexorable, les mois, les jours et les noms eux-mêmes, venaient de se transformer. Ces extravagantes innovations excitaient à l’étranger le plus vif sentiment de curiosité ; aussi Hyde de Neuville, arrivant à Coblentz, avec l’un de ces nouveaux calendriers républicains, obtint, dans la petite cour de Shönbornlust, le plus grand succès. Mme de Balbi, toujours curieuse d’inédit, n’avait pas dissimulé son extrême désir d’en posséder un exemplaire ; malheureusement, Hyde de Neuville n’avait pas la possibilité de disposer du sien, et dès le lendemain, il repartait à l’aube. Mais un souhait de Mme de Balbi était un ordre pour le Comte de Provence, et le matin, à son réveil, la favorite recevait le nouveau calendrier objet de son ambition. Mettant à profit les dernières heures de séjour de Neuville à Coblentz, le prince, avec une galanterie empressée, s’était mis le soir même à la besogne et avait passé la nuit tout entière à copier tout entier avec une patiente minutie, de son écriture droite et menue, le document désiré par sa séduisante amie.

Ce témoignage de délicate galanterie est encore en la possession de la comtesse de Bardonnet, petite-fille de Hyde de Neuville, entièrement écrit de la main du futur Louis XVIII.

Si on a attaqué à juste titre la moralité d’Anne de Caumont la Force, en revanche, tous ceux qui l’ont connue, sans exception, ont rendu justice à ses brillantes qualités intellectuelles. Par son entrain inlassable, elle savait rendre léger le poids de l’exil, et dans les courts billets qu’elle tournait si joliment, on retrouve encore à chaque ligne le charme et la grâce d’un passé qu’on serait, à cet égard, heureux de faire revivre !