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du Comte et de la Comtesse de Provence, et lorsqu’elle part d’une façon définitive, c’est pour retrouver à Mons, après un voyage sagement calculé, Monsieur qui, sinon plus habile, du moins plus heureux que le roi son frère, a pu quitter Paris et gagner la frontière sans attirer l’attention des populations sur sa route.

Si Mme de Balbi avait joui à Versailles et à Paris d’une influence considérable, bien autrement grande allait être celle qu’elle devait exercer désormais. Après sa fuite de Paris, elle se rend à Mons, puis séjourne à Bruxelles, à Liège et à Aix-la-Chapelle à la suite du Comte de Provence, puis enfin, le 7 juillet 1791, vient s’installer à Coblentz. C’est dans cette capitale du bon électeur Clément Wenceslas qu’elle va devenir réellement la reine de l’Emigration. La plupart des jolies femmes, elles aussi, sont arrivées peu à peu ; outre les deux favorites, nombre de « divinités » apportent la note jolie de leurs élégances dans la nouvelle cour. Mme de Lage, Mme de Poulpry, Mme de Boigne, la duchesse de Guiche, toutes les habituées de la Galerie de bois, sont successivement venues. Mais elles forment surtout la société de Mme de Polastron, héritière naturelle des traditions des Polignac. Chez Mme de Balbi, il n’y a pas de femmes : elles ne sauraient s’accommoder des emportemens de son caractère ni de ses jalousies souvent redoutables.

Les deux salons diffèrent autant que ceux qui en font la puissance ou l’attrait. Les caractères des deux princes sont restés comme à Versailles si différens l’un de l’autre ! « Parlant toujours et n’écoutant jamais, le Comte d’Artois va bientôt parler d’emporter les retranchemens de Valmy, l’épée à la main, à la tête de la noblesse. Il est familier et altier, élégant et imposant tout à la fois, et possède au plus haut degré cette séduction attirante qui suscite les enthousiasmes et enflamme les courages. Il est téméraire et négligent, étourdi et imprudent ; mais à Coblentz, à Trêves et dans tous les campemens d’émigrés, on ne jure que par lui et aucun prince n’est plus populaire ! » Aussi ces projets d’expéditions, toujours décidés, sans cesse ajournés, entretiennent-ils Mme de Polastron dans de perpétuelles alarmes !

Mme de Balbi, elle, n’éprouve pas les mêmes inquiétudes et n’a pas à s’associer à des projets guerriers, car le Comte de Provence est totalement dépourvu des brillantes qualités extérieures de son frère. « Jamais il n’avait marché avec une grande aisance, nous dit un contemporain et, même dans sa jeunesse, il