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préoccupations d’argent, et, plus tard, lorsque, rentrée en France, elle s’installera à Versailles, sa situation de fortune demeurera modeste. La pension de 12 000 francs que lui continuera Louis XVIII, malgré sa disgrâce, sera sa principale ressource. On a raconté qu’après sa rentrée en France, lorsque par ordre de Bonaparte elle fut exilée à quarante lieues de la capitale, elle s’installa à Montauban pour y ouvrir une maison de jeu dont elle était tenancière. C’est une calomnie absurde, inventée de toutes pièces. Mme de Balbi s’était retirée près de son frère, se rendant seulement chaque été chez sa sœur la marquise de Lordat, au château de Bram (Aude) où la tradition parle encore de son esprit, de son entrain et de son charme.

Pendant ses jeunes années passées à Versailles, Mme de Balbi, rieuse, légère et frivole, avait pris sans doute une large part aux distractions de cette société presque uniquement absorbée par la galanterie et le plaisir, mais il est injuste de l’accabler sous le poids des anecdotes mal fondées qu’on s’est plu fréquemment à rapporter sur son compte. Faut-il croire Tilly, le beau Tilly, lorsqu’il nous la montre, dans ses Mémoires, désignée par de transparentes initiales, l’attaquant sous le masque au bal de l’Opéra et le rendant heureux dès le troisième rendez-vous ? Ses récits sont-ils plus vraisemblables lorsqu’il la dépeint parcourant la nuit les rues de Versailles en quête d’aventures, et faisant elle-même des avances à des amans d’une heure ou d’une nuit ? Ces vaniteuses vantardises ne s’appuient sur aucune preuve, et si, au cours de sa longue carrière, Mme de Balbi fut coupable de faiblesses, si elle se montra inconstante et justifia les jalousies du Comte de Provence par des aventures trop bruyantes, elle ne fut pas l’héroïne des scènes de lubricité vulgaire dont parle Tilly, et elle ne descendit jamais à des amours de bas étage.

Quand sonna l’heure de l’émigration, Mme de Polastron s’était éloignée une des premières avec cette duchesse de Polignac qui fut si admirée, tant aimée, tant pleurée, et dont le cœur égalait la beauté : elle allait rejoindre le Comte d’Artois.

Mme de Balbi, au contraire, installée à Londres lors des journées d’Octobre, reprit le chemin de la France sitôt qu’elle apprit la gravité des événemens qui venaient de se passer ; elle accourut au Luxembourg se ranger aux côtés de Monsieur et remplir auprès de Madame les devoirs de sa charge de dame d’atour. Pendant près de deux années, on la verra demeurer ainsi auprès