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ainsi l’émigration et, au retour, elle abat encore des cartes. Le « vice » est à la mode ; malgré les efforts impuissans du vertueux Louis XVI, la Reine et ses belles sœurs sont les premières à donner ce funeste exemple. Toutes les jolies femmes jouent avec fureur et se lamentent après la perte inévitable. « Les louis glissent entre les doigts roses, » dit un contemporain.

Entre les favorites des deux princes, — eux-mêmes si dissemblables par leurs goûts, leurs allures et leurs aspirations, — la nature semble avoir préparé ce contraste. A la fille des d’Esparbès de Lussan, blonde, de ce blond cendré où tout est douceur et lumière, elle avait donné l’exquise joliesse, la grâce attendrie et charmante, en lui refusant le don et le goût de l’intrigue. A la descendante des Caumont la Force elle avait dispensé une beauté toute d’énergie et de vigueur, des yeux de velours, avec une taille de nymphe, une démarche triomphante et une élégance accomplie. Son portrait que je dois à l’obligeante amabilité de son petit-neveu, le duc de la Force, la représente en robe de linon, la lèvre souriante, l’œil moqueur et l’air mutin. Le feu de la passion brille dans le regard, et la physionomie tout entière reflète la volonté, l’ardeur et l’intelligence. La finesse du nez légèrement relevé, les fossettes qui se creusent dans les joues rondes, tout semble concourir à la perfection de ce frais et délicieux visage. De ses doigts fuselés, elle croise sur son sein demi-nu un fichu de gaze blanche d’où s’échappe un bout d’épaule ronde, et un ruban ponceau retient imparfaitement l’abondante masse de ses cheveux de brune piquante. Il suffit de contempler ce portrait empreint à la fois de tant de coquetterie et d’abandon pour deviner quel dut être l’empire d’une femme qui réunissait à la fois tant d’attraits et tant d’intelligence, qui joignait tant de grâce provocante à tant d’esprit et de ténacité.

A cet esprit étincelant tous ses contemporains sont unanimes à rendre hommage. « Elle est plus pressée de parler que d’entendre, » dit le vicomte de Neuilly, « mais on est toujours fâché quand elle se tait. » « Aux charmes de la figure et de l’esprit, elle joignait la coquetterie, » ajoute le marquis de Contades. « C’était un esprit fier et charmant, » témoigne Hyde de Neuville, « et tous ceux qui l’approchent sont d’accord pour déclarer que, quelle que soit la séduction qu’elle dégage, son esprit surpasse sa beauté. » Ces précieux dons naturels qui lui ont été si