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et qu’elle voit si mal assortis, son choix est vite fait ; c’est le Comte de Provence qu’elle va essayer de conquérir, et c’est la faveur de sa femme qui lui permettra de gagner peu à peu ses bonnes grâces.

Jusque-là, le Comte de Provence s’est montré peu sensible aux attraits du beau sexe et son tempérament comme son goût lui ont fait rechercher les satisfactions de l’esprit plutôt que les plaisirs des sens ; mais Mme de Balbi ne se décourage pas pour si peu, quelques semaines suffiront pour que le prince, séduit tout d’abord par son intelligence, soit conquis complètement par sa beauté. Parvenue au premier plan, elle donne libre cours à son activité fiévreuse, à son amour du commandement, à sa passion pour l’intrigue ; elle se mêle à toutes les affaires, elle conseille, elle discute et elle agit. A l’encontre de la languissante amie du Comte d’Artois, au lieu d’une voix qui volontairement s’éteint, elle fera entendre les accens d’une énergie qui se dépense. Et malgré cette activité dévorante, cette existence agitée et ces bruyantes aventures, de ces deux femmes si dissemblables, la favorite du Comte de Provence n’est pas celle qui disparaîtra la première. Mme de Polastron mourra jeune, incapable de supporter les maux physiques et les peines morales qui l’ont accablée d’un poids trop lourd ; Mme de Balbi au contraire traversera les révolutions et les émeutes, elle verra les régimes se succéder, et, jusqu’à un âge avancé, vivra d’une vie ardente, intriguant, plaidant, réclamant sans relâche, toujours caustique, l’œil vif et la repartie prompte.

Même dans les plus petits détails, la divergence de goûts des deux femmes reste complète, pour la dame d’honneur de la Reine, comme pour la dame d’atour de Madame. Le jeu est exigé par la mode, c’est une quotidienne distraction obligatoire et le plus habituel passe-temps à la Cour ; mais tandis que Mme de Polastron s’en plaint comme d’une charge onéreuse à sa bourse et dont son budget se trouve fâcheusement grevé, Mme de Balbi est joueuse enragée ; elle joue à Versailles, à Coblentz, à Londres et à Paris. Le creps, le whist, le quinze, le cavagnol lui sont également familiers, et l’inventaire de son mobilier dans chacune de ses résidences successives nous donne l’énumération curieuse des nombreuses tables à jeu qui garnissent chaque pièce, depuis l’antichambre jusqu’aux cabinets de toilette. La vieille monarchie qui s’écroule la trouve les cartes à la main, elle traverse