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actuelle, sans savoir le moins du monde par quoi ils la remplaceront.

Nombre d’entre eux, en attendant, s’accommodent fort bien de notre société bourgeoise. Ils en dénoncent les abus, les privilèges, mais ils en jouissent sans remords ; ces éducateurs du peuple, ces anticapitalistes, se recrutent parfois chez les ploutocrates. Aussi y a-t-il quelque mauvais goût de leur part à déclamer contre le capital, « ce vampire qui suce le sang des ouvriers. » De même qu’une partie de la noblesse se jeta dans la Révolution, des fils de famille se précipitent aujourd’hui vers le socialisme. Molière a peint le bourgeois gentilhomme : quel auteur dramatique nous mettra sur la scène le bourgeois prolétaire ? Ils abondent au Congrès. Voici le président si autoritaire, M. Singer, patron, enrichi par sa fabrique de manteaux pour dames ; M. Bebel, l’heureux héritier de deux cent mille marks qu’il s’est bien gardé de refuser ; M. Furnémont, qui route en bel équipage ; M. Sudekum, le Brummel de la social-démocratie allemande, légendaire par ses cravates, le ravisseur chevaleresque de la princesse de Saxe. Combien ont quitté Stuttgart en automobile aristocratique ! M. Vandervelde a comparé les socialistes aux premiers chrétiens : tous ne manifestent pas la même horreur pour la corruption du siècle. Un délégué à Amsterdam nous citait un de ses camarades, qui, par amour désordonné du capital, venait d’épouser une infante aussi riche que laide. Le monde des femmes socialistes est aussi varié que celui des hommes. Elles étaient légion à Stuttgart. L’assemblée qu’elles ont tenue a été des plus houleuses. Le Congrès vota pour elles le droit de suffrage. Mais la différence de leurs manières et de leurs toilettes blessait le sentiment d’égalité. Quelques ladies, qui n’auraient pas été déplacées à la Cour, coudoyaient de petites Russes en blouses noires, d’aspect doux et recueilli, toujours prêtes au sacrifice, et qui deviennent aisément meurtrières et lancent leurs bombes, par amour de l’humanité. Des juifs étaient venus nombreux de Russie, de Pologne, d’Autriche et d’Allemagne. Dans les pays où ils ne jouissent que d’une égalité imparfaite, ils se joignent aux partis socialistes qui les accueillent et ils se servent de la force croissante des classes ouvrières contre leurs adversaires et leurs oppresseurs. Les pays à l’est de l’Europe possèdent un prolétariat juif irréconciliable, dans sa misère et son abjection. Théoriciens, journalistes,