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à supplanter la bourgeoisie par le jeu d’une évolution fatale. La grande industrie concentre de plus en plus les richesses, et d’autre part discipline les masses ouvrières. L’État démocratique, par le suffrage universel, par le service militaire obligatoire et universel, livrera à ces masses le pouvoir politique. Le résultat n’est pas douteux : les expropriateurs de la bourgeoisie seront expropriés par les prolétaires. Toute l’œuvre du socialisme consiste à donner aux classes ouvrières une claire conscience de cette évolution capitaliste, et à l’accélérer.

Deux tactiques contraires résultent de ces deux conceptions antithétiques de l’anarchisme et du socialisme. L’anarchisme prétend brûler toutes les étapes ; le socialisme reconnaît que des phases de transition sont nécessaires : le capitalisme doit atteindre la plénitude de son développement, avant que le collectivisme puisse prendre sa place. L’anarchisme vise à la destruction soudaine, catastrophique des pouvoirs publics ; le socialisme, à leur conquête plus ou moins lente. L’un procède par l’insurrection, suivie de réaction et de recul, l’autre par le bulletin de vote. En un mot, l’anarchisme dissout, le socialisme construit, éduque, organise.

Sous l’influence de ces idées et en conformité avec cette tactique, des partis socialistes autonomes s’étaient fondés, après la dislocation de la première Internationale, dans les pays d’Europe : leurs représentans commençaient à pénétrer ici et là dans les corps élus. Ils reformèrent une Internationale ouvrière, en reprenant la tradition des congrès internationaux, — mais avec cette différence que l’Internationale de Karl Marx visait à créer par ses délégués des partis nationaux qui n’existaient pus encore, tandis que c’étaient maintenant des partis socialistes organisés dans les différens pays, qui formaient avec leurs représentans ces nouveaux congrès, auxquels se bornait leur vie commune. En conséquence, à ces congrès, on vote désormais non par têtes de délégués, mais par nations. Au premier convoqué à Paris en 1889, Liebknecht disait : « La vieille Internationale n’est pas morte : elle est passée dans les puissantes organisations ouvrières des États particuliers qui continuent son œuvre. »

À cette date même de 1889, où l’on célébrait le centenaire de la Révolution bourgeoise et de l’émancipation du Tiers-État, les socialistes des divers pays, réunis à Paris, saluaient l’aurore