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pu se faire ; il y a, entre ces deux partis voisins, des barrières peut-être plus épaisses que celles des idées et des principes ; il y a des inimitiés, des préventions, des rancunes. Peut-être aussi vaut-il mieux, pour les libertés publiques, qu’ils gardent chacun leur individualité ; la Russie constitutionnelle aura ainsi deux équipes rivales, presque également capables de diriger une majorité et de soutenir un gouvernement.

Beaucoup de libéraux doutent, il est vrai, du libéralisme des Octobristes ; par leurs hésitations ou par leurs faiblesses vis-à-vis des « hommes russes, » certains membres de ce parti du 17 octobre ont paru justifier des soupçons injurieux pour leur bonne foi et leur bon renom. Il semble bien, malgré tout, à en juger du moins par plusieurs de leurs chefs, que le plus grand nombre des Octobristes demeurent sincèrement constitutionnels. Leur parti n’a du reste pas d’autre raison d’existence.

La Russie n’aura pas l’humiliation d’avoir une Douma d’« hommes russes ; » il se peut au contraire que, dans la prochaine Chambre, les Cadets soient relégués à gauche, que la majorité soit aux Octobristes. En ce cas, les libéraux auraient tort de désespérer de l’avenir des institutions libres. Ce qui importe le plus, à l’heure présente, pour la fondation même d’un régime constitutionnel, c’est que le gouvernement impérial s’accoutume à vivre et à gouverner avec une Chambre élective. Cette habitude, il faut espérer que la troisième Douma la lui saura inculquer, dussent les Cadets y rentrer en vainqueurs. Plus elle sera modérée, prudente, équilibrée, moins elle aura de peine à y réussir. Devrait-elle, contrairement aux vœux et aux sentimens du pays, être presque tout entière de droite ; serait-elle même en majorité composée d’adversaires déclarés du régime constitutionnel, qu’elle pourrait encore, malgré elle, contribuer à l’acclimater ; car la couronne et le gouvernement toléreraient d’une Chambre de droite ce qu’ils n’admettraient pas d’une majorité de gauche, et, quelles que soient ses doctrines théoriques, une assemblée sera partout plutôt portée à défendre et au besoin à étendre ses droits qu’à les laisser restreindre.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.