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avantages, le gouvernement est loin de pouvoir « faire les élections, » comme les fait, chez nous, un ministère radical. Ses agens n’ont sans doute pas plus de scrupule que, dans notre France républicaine, ceux du Bloc ; mais ils n’ont point les mêmes moyens de pression, les mêmes moyens surtout de séduction ou de corruption, vis-à-vis des individus ou vis-à-vis des communes. Rien de pareil en Russie à notre lourde et formidable machine administrative, qui écrase trop aisément les libres initiatives aux dépens des libertés publiques. Aussi, malgré toutes les apparences, le gouvernement a peut-être plus de peine à être vainqueur dans le vieil Empire autocratique que dans notre démocratie républicaine ; et c’est pour cela précisément que le ministère russe n’a pas osé engager la bataille, sans demander à sa réforme électorale des armes nouvelles.

En cette mêlée confuse, le gouvernement garde cependant un avantage ; ce n’est pas seulement d’avoir eu le choix des armes et du terrain : c’est que, aujourd’hui comme hier, ses adversaires restent désunis, et que leurs principes ou leurs intérêts leur rendent toute entente malaisée. Il est vrai qu’à droite, les partis sont presque également divisés, et que les outrances sectaires des « hommes russes » sont bien faites pour écarter et pour écœurer les véritables hommes d’ordre.

Les tentatives pour masser tous les électeurs et tous les candidats en deux « blocs » hostiles : le bloc gouvernemental, le bloc de l’opposition, ont jusqu’ici échoué ; peut-être ne faut-il pas trop le regretter, car cela risquait de contraindre les modérés des deux camps à subir les conditions des violens. Il est une autre combinaison dont le succès n’eût pas eu les mêmes inconvéniens. Elle a été préconisée par un des esprits les plus élevés et les plus indépendans, le prince Eugène Troubetskoï, un des cinq élus des universités russes au Conseil de l’Empire. Cette combinaison est celle qui partout semble la plus naturelle, comme la plus désirable, et qui, presque partout, est la plus difficile ; c’est ce que nous appellerions la conjonction des Centres, représentés en Russie, à droite par les Octobristes, à gauche par les « Cadets. » Eugène Troubetskoï invitait ces deux partis et les petits groupes connexes à s’entendre, à fusionner pour former un grand parti constitutionnel, de force à lutter à la fois contre les révolutionnaires et les socialistes, contre les réactionnaires et les « hommes russes. » Ni la fusion, ni l’entente n’ont