Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révolutionnaires qui affirment que le peuple n’a rien à espérer de la Constitution et des réformes légales, qui déjà l’engagent à protester contre le régime nouveau en « boycottant » la future Douma des barines. Alors même que la révision électorale réussirait à bannir de la Chambre tous les groupes révolutionnaires, le gouvernement n’aurait probablement pas à trop s’en féliciter. Les Russes de tous les partis se plaisent à étudier l’histoire et les leçons de nos révolutions. Leur gouvernement a pu y apprendre que, pour le pouvoir, il n’est souvent pas de pire erreur que de confondre le « pays légal » avec le pays, une assemblée avec la nation. En Russie, l’erreur serait d’autant plus funeste que les luttes politiques ou sociales y sont moins confinées dans l’enceinte des Chambres. Une des premières conséquences de l’entière expulsion des partis démocratiques du palais de Tauride serait sans doute la recrudescence des complots et des attentats. « Qu’on nous enlève le bulletin de vote, disent déjà les jeunes exaltés des deux sexes, il nous restera les bombes ; et pour tout renverser, il suffit d’une bombe heureuse. »

Mais, en dépit de toutes les habiletés de la loi électorale, la prochaine Douma sera-t-elle une Chambre introuvable ? Sera-t-elle même une Chambre de barines réactionnaires et dociles ? Cela est incertain. Le propriétaire russe, le pomechtchik lui-même est loin d’être toujours un esprit fermé aux nouveautés ou un adversaire déclaré de la démocratie. Il a peu de goût pour ce qu’il appelle l’autocratie bureaucratique ; sa répulsion pour les lois agraires ne suffit peut-être point à faire de lui un électeur docile ou un député servile. Il semble bien que le ministère en ait le sentiment, à voir la défiance qu’il témoigne à ce corps électoral trié par lui, les restrictions qu’il impose à la propagande de ses adversaires, les amendes, les semaines de prison que ses gouverneurs indigent à la presse d’opposition. Partout la lutte est vive et le résultat obscur. Le gouvernement dispose de nombreux moyens d’intimidation ; il a pour lui l’état de siège que les attentats terroristes lui ont permis d’étendre à presque tout l’Empire ; il a son système de « légalisation » des partis qui lui permet d’enlever à ses adversaires tous les moyens légaux de propagande ; il a pu, en entamant, après plus d’un an, les poursuites contre les signataires du manifeste de Viborg, interdire toute candidature à l’élite des opposans, la majorité des membres de la première Douma. Malgré tous ces