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ne pardonneront point. Elles en seront d’autant plus froissées que, pratiquement, les distinctions nationales se confondent d’habitude avec les différences religieuses.

Non contente de frustrer la Pologne et les provinces allogènes de la plupart de leurs députés, la nouvelle loi électorale a imaginé, en Pologne, en Lithuanie, au Caucase, de donner des représentans à part aux Russes disséminés parmi des populations d’origine étrangère. Elle a ainsi créé, au profit des Russes, des curies nationales particulières, laissant à l’administration le soin de désigner quelles personnes auront le droit de figurer, à titre de Russes, sur ces listes électorales privilégiées. Comme il n’y a pas habituellement de signe extérieur pour établir la qualité de Russe ou de non-Russe, la plupart des gouverneurs de provinces viennent de décider que seront considérés comme Russes les habitans orthodoxes. Aux curies nationales on a ainsi substitué des curies confessionnelles. La faute en revient plutôt à la loi qu’à l’administration. C’est ainsi que Varsovie aura un seul député pour ses 800 000 habitans catholiques ou juifs, et un autre député pour les quelques milliers d’orthodoxes, presque tous fonctionnaires, qui résident dans la capitale de la Pologne. Aux bords de la Vistule, une voix orthodoxe vaudra ainsi près de cinq cents voix catholiques ou juives.

C’est là un résultat que n’avaient sans doute pas prévu les rédacteurs de la loi électorale ; en tout cas, il n’est pas en harmonie avec les conditions de la Russie nouvelle ; il cadre mal avec la plus noble et la mieux inspirée des mesures prises par l’empereur Nicolas II, avec l’oukaze d’avril 1905 qui a concédé à tous les sujets russes la liberté religieuse. Nous avons toujours répété, quant à nous, qu’en Russie, comme partout ailleurs, la liberté religieuse ne serait entière et assurée que lorsqu’elle reposerait sur la liberté politique. L’édit de tolérance d’avril 1905 précédant à peu de mois d’intervalle le manifeste constitutionnel du 17 octobre a été la confirmation de ce que nous regardions comme une sorte de loi historique. La Russie a été appelée à la fois, par l’empereur Nicolas II, à la liberté religieuse et à la liberté politique. Toutes deux, encore précaires et incomplètes, restent solidaires ; toutes deux, en Russie, ont les mêmes ennemis. On voit, par les contre-coups de la nouvelle loi électorale, que les attaques dirigées contre l’une menacent déjà d’atteindre l’autre. Il serait cependant imprudent de laisser les partis d’opposition