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éloignés de l’esprit de rébellion de leurs pères et de la haine du nom russe. Avant le vote de la loi sur le recrutement, les Polonais, qui avaient su former un groupe strictement uni et discipliné, avaient lu une déclaration par laquelle ils annonçaient que s’ils accordaient au gouvernement le chiffre de soldats réclamé par lui, c’est parce qu’ils tenaient à ce que l’Empire demeurât fort, afin qu’il pût maintenir sa puissance et protéger tous ses peuples. Cette déclaration, si nouvelle sur des lèvres polonaises, avait été bruyamment applaudie sur tous les bancs du Centre de la Douma ; elle semblait ouvrir l’ère nouvelle, si longtemps en vain annoncée par les poètes et en vain souhaitée par les penseurs des deux peuples, celle de la réconciliation pour leur bien commun et pour le bien de l’Empire. De Prague et d’Agram à Belgrade et à Sophia, catholiques ou orthodoxes, toutes les nations slaves, amies ou clientes de la Russie, avaient été unanimes à l’en féliciter, comme de la plus glorieuse et la plus noble victoire. Comment les intérêts de la politique allemande et les passions surannées de la Ligue des hommes russes ont-ils réussi à faire tourner, contre la réconciliation et contre les Polonais, la sagesse de leurs députés à la Douma et leurs déclarations en faveur de l’armée et de la puissance russes ?

Les « vrais Russes » soutenus par les influences germaniques y sont parvenus en provoquant, contre le Kolo polonais, le vieil orgueil moscovite. Ils ont représenté au public, au Tsar et aux ministres, qu’il était dangereux et humiliant, pour la Russie, de voir les décisions de la Douma à la merci du vote des Polonais ou des inorodtsy, des hommes d’un autre sang et d’une autre foi. Il importe, ont-ils dit, d’affranchir la Russie et la Douma russe de la suprématie ou de l’ingérence du Kolo polonais. Si la Russie doit avoir des assemblées constitutionnelles, la prédominance de l’élément russe y doit être entière. Dans la Douma d’Empire, comme partout, il faut que triomphe la maxime : la Russie aux Russes. Les divisions des Russes mettent-elles leur hégémonie en péril, il n’y a qu’à fermer la Douma aux « allogènes ; » Polonais, Lithuaniens, Lettes, Finnois, Juifs, Tatars, Arméniens, Géorgiens, étrangers de toute religion et de toute race, doivent toujours en Russie rester des sujets et ne jamais se convertir en maîtres.

Ce langage, il faut l’avouer, était fait pour frapper les Russes, d’autant que, à l’inverse des Polonais, quelques allogènes, les