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vain traqué dans les marches allemandes, trouvant un abri sous les larges ailes de l’aigle noire de Russie. On comprend les efforts de l’empereur Guillaume et de la diplomatie allemande pour écarter de leur chemin un tel péril : on s’explique moins qu’il se soit rencontré en Russie un parti pour seconder les vues germaniques et un gouvernement pour les satisfaire.

Voilà cependant ce qu’a fait la nouvelle loi électorale. Depuis deux ans, c’était un axiome courant en Russie que le principal obstacle aux revendications nationales des Polonais de la Vistule était à Berlin plutôt qu’à Pétersbourg. On allait jusqu’à dire, avec quelque exagération sans doute, que l’empereur Guillaume avait formellement opposé son veto à toute autonomie du royaume de Pologne. C’était, pour les Russes, une façon commode de répondre, sans trop les irriter, aux instances des Polonais. Ces derniers sentaient que leurs revendications les plus modérées ne seraient pas aussi vite acceptées que le leur avaient laissé espérer, aux premiers jours de la première Douma, les libéraux russes. Ils s’attendaient à un temps d’arrêt, non à un recul marqué. Les révolutionnaires du P. P. S.[1], ennemis de toute entente avec le Tsar, se plaisaient seuls à prédire que le gouvernement impérial se hâterait de sacrifier les Polonais à leurs ennemis du dedans et du dehors. La nouvelle loi électorale leur a donné raison.

Le royaume de Pologne avait, dans la première et dans la deuxième Douma, 37 représentans, sans compter les Polonais élus par les provinces voisines de Lithuanie ou de Petite-Russie. La loi nouvelle les a réduits à 14, et encore sur ces 14 députés du royaume, 2 devront être choisis par les Russes habitant les provinces de la Vistule, de telle sorte qu’en fait la Pologne se voit enlever, d’un trait de plume, les deux tiers de ses représentans. Pendant que, dans les provinces de l’Empire, il y a d’habitude 1 député par 200 ou 250 000 âmes, dans le Royaume, il y en aura un par 800 ou 900 000 âmes.

Les Polonais étaient d’autant moins préparés à un pareil traitement que, lors des deux premières Doumas, leurs représentans s’étaient peut-être montrés les plus sages, on pourrait même dire les plus conservateurs de tous les députés réunis au palais de Tauride. C’est au point que, en un article retentissant

  1. Parti Polonais Socialiste.