Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendant la période révolutionnaire qui a suivi, l’empereur Guillaume II avait fait offrir à l’empereur Nicolas l’appui des uhlans et des grenadiers prussiens contre les Polonais de la Vistule, au cas où ces incorrigibles de la rébellion s’aviseraient d’imiter l’héroïque folie de leurs pères de 1863. Si l’offre a vraiment été faite, la Russie n’a point eu à l’accepter. Les Polonais, tout en restant aussi ardens patriotes et aussi fidèles à leurs grands souvenirs, ont singulièrement changé depuis un demi-siècle. Le temps n’est plus où la schlachta, la noblesse polonaise, éblouie des mystiques rêves de ses poètes nationaux, s’obstinait à des restaurations chimériques ; la Pologne s’est éveillée de ses songes anciens ; ses longues souffrances n’ont pas été perdues pour elle ; aux dures leçons de l’histoire elle a pris, elle aussi, le sens des réalités[1].

La résurrection nationale que leurs ancêtres n’attendaient que de la rébellion contre les Tsars russes, les Polonais du siècle nouveau sont prêts à la demander à une entente avec leurs frères slaves de Russie. Les fils des émigrés de 1863 et des exilés de Sibérie ont fini par écouter les conseils que leurs meilleurs amis de France leur avaient en vain longtemps donnés. C’est bien ce qui inquiète l’empereur Guillaume, héritier des ambitions de Frédéric et des haines de Bismarck. Une insurrection de la Pologne contre la domination russe ferait bien mieux les affaires de Berlin et des patrons de l’Ost Mark Verein. Elle aurait, aux yeux de la politique prussienne, double avantage : elle lui permettrait de ramener la Russie nouvelle à l’alliance ancienne, en l’aidant à mater les rebelles, en même temps qu’elle montrerait, à ces obstinés enfans polonais de Posnanie, de Prusse, de Silésie, l’inanité de leur résistance aux barbares procédés de dénationalisation du Deutschtum et la nécessité de se résigner, sous la verge de l’instituteur prussien, à ne plus prier qu’en allemand un Dieu qui n’a plus d’oreilles pour les cris de souffrance des martyrs polonais. La réconciliation des Slaves du royaume de Pologne avec les Slaves de Russie, c’est, au contraire, l’espérance rendue aux Polonais des provinces prussiennes, le Polentum redressant partout la tête devant le Deutschtum, l’harmonie et l’entente restaurées dans le monde slave au détriment du Drang nach Osten germanique ; c’est l’aigle blanc de Pologne, en

  1. Voyez par exemple M. M. Zdziechowski : Die Grundprobleme Russlands, 1907, p. 385-93.