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presque inutile de le rappeler, la Pologne. C’est en Pologne, contre cette vivace nationalité polonaise qui s’obstine à ne point mourir, que les visées et les efforts de la chancellerie allemande et de la Ligue des hommes russes se sont rencontrés et mutuellement servis. Pour cela, elles n’avaient pas besoin d’une entente formelle ; les « vrais Russes » de Moscou, en leur campagne contre les Polonais, devaient naturellement trouver des alliés dans les pangermanistes d’Allemagne, des auxiliaires chez les Hakatistes de Prusse. Obéissant à des rancunes et à des défiances analogues, il n’est pas surprenant qu’ils aient spontanément agi dans le même sens ; il l’est davantage peut-être que cette action simultanée contre le même adversaire n’ait pas fait réfléchir à Moscou et à Pétersbourg. Comme Russes et comme Slaves, peut-être les « vrais Russes » eussent-ils pu se dire que ce n’était pas à eux, ni à la Russie, de seconder, contre un peuple slave, les ennemis déclarés du slavisme. À ce reproche que plus d’un de leurs compatriotes ne leur a pas ménagé, ils répondent, à la vérité, qu’en ne repoussant pas le concours des Germains contre les Lekhs de la Vistule, ils ne font que continuer la politique des Tsars des deux derniers siècles.

Depuis les trois partages inaugurés par Frédéric et par Catherine, la Pologne asservie a été en effet le lien, on pourrait dire la chaîne qui, malgré de persistantes antipathies nationales, a tenu unies et comme rivées l’une à l’autre la politique russe et la politique prussienne. On répète souvent, chez nous, que la question d’Alsace-Lorraine domine la politique de l’Europe. L’historien en pourrait presque dire autant de la question polonaise ; et si cela a longtemps été vrai du XIXe siècle comme du XVIIIe, cela pourrait bien un jour le redevenir, mais peut-être d’une autre manière et en sens contraire, au siècle nouveau. C’est par la Pologne, c’est par des complaisances intéressées envers la Russie, durant l’impolitique rébellion de 1863, que Bismarck s’était assuré la neutralité bienveillante du grand empire voisin, pendant ses trois guerres de Danemark, d’Autriche, de France. Pour s’être émancipé de la tutelle de Bismarck vieilli, l’empereur Guillaume II n’en est pas moins demeuré l’élève du fondateur du nouvel Empire germanique, et comme le maître, l’impérial disciple est prêt à reprendre, vis-à-vis du cabinet de Pétersbourg, la politique et les engagemens de 1863. On a, plus d’une fois, affirmé que, durant la guerre de Mandchourie et