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années, la « Ligue du peuple russe » est une force dont, aux heures critiques, ministres et hauts fonctionnaires ne se croient pas permis de dédaigner le concours ou de braver les colères. Les plus résolus, les plus courageux, tels que M. Stolypine, ne se sentent pas assez sûrs de leurs collègues ou assez soutenus d’en haut pour toujours oser lui résister en face ; s’ils ont trop de raison ou trop d’honneur pour s’abaisser à servir la Ligue, ils ne se font pas scrupule de s’en servir, sans peut-être craindre assez de ne plus pouvoir s’en affranchir.

Quels que soient ses provocations et ses excès, un parti qui s’arroge pour mission le maintien ou le l’établissement de l’absolutisme autocratique, doit naturellement rencontrer des sympathies ou des complaisances dans les cercles de la Cour et dans les bureaux des ministères. Tout en cédant à la Ligue des hommes russes et à ses alliés sur la dissolution de la seconde Douma ou sur la nouvelle loi électorale, M. Stolypine et ses collègues ont pu se flatter de ne pas se laisser entraîner, par ces turbulens zélateurs de l’absolutisme, au-delà des bornes que s’était marquées le gouvernement. Puis, les plus énergiques des ministres, en butte à la fois aux assauts de leurs adversaires déclarés et aux mines souterraines de leurs rivaux, ne sont pas ou ne se croient pas assez forts pour tenir tête aux révolutionnaires et aux réactionnaires qui, avec des armes différentes, les attaquent simultanément. Pour combattre d’une main les partis d’extrême droite, de l’autre les partis d’extrême gauche, il eût fallu que M. Stolypine se sentît entièrement libre du côté de la Cour, et qu’en même temps il eût su rallier derrière lui un parti modéré assez sûr et assez fort pour le soutenir contre toutes les intrigues et tous les abandons.

Or, c’est à quoi, malgré ses tentatives avouées, le premier ministre n’a encore pu réussir. Il a eu beau entamer, durant la deuxième Douma, des négociations avec ses adversaires de la veille, les constitutionnels démocrates ; il y avait, entre le chef de cabinet et ces constitutionnels affublés du sobriquet de « cadets, » trop de défiances et trop de rancunes, il y avait aussi autour d’eux, à droite comme à gauche, trop de passions intéressées à faire échouer leur accord, pour qu’ils pussent arriver à s’entendre. Privé de l’appui du seul groupe libéral qui lui offrît une force effective, le ministère était contraint de ménager les partis d’extrême droite, les « hommes russes » qui déjà commençaient