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Les élections des deux premières Doumas d’Empire se sont faites sous le régime d’égalité politique et religieuse. Le principe en semblait définitivement admis. L’an dernier encore, lors de ma visite à la première Douma, on semblait d’accord pour y voir le gage de la définitive réconciliation entre la vieille Russie moscovite, la Russie orthodoxe, et sa large ceinture bariolée d’oukraïnes hétérodoxes. A Pétersbourg comme à Moscou, la plupart des Russes s’en félicitaient, les autres paraissaient s’y résigner. A Varsovie, les Polonais, enfin traités avec équité, s’apprêtaient à montrer qu’ils pouvaient être de loyaux sujets du Tsar, sans renier leurs traditions nationales.

Les Israélites de l’Ouest, toujours sous l’angoisse de quelques nouveaux pogroms, étaient presque les seuls à douter de la sincérité ou du respect de la nouvelle loi électorale. Il semblait que leurs longues souffrances passées et leurs perpétuelles déceptions les eussent rendus trop défians du présent et trop anxieux de l’avenir. L’événement allait bien vite montrer que leurs craintes n’étaient pas vaines. Le généreux oukaze d’avril 1905, qui avait proclamé la liberté religieuse, sans abolir les lois d’exception, ne pouvait prévenir le réveil des haines antisémites, ni des passions nationales contre les Polonais, les Lithuaniens et les catholiques de l’Ouest.

Contre le principe de l’égalité, s’est levé un parti, encore sans force et sans influence lors des élections de la première Douma, mais qui, peu à peu, devant les menaces des révolutionnaires et les attentats terroristes, a crû en nombre et en ascendant, en exigences et en audace. Ce parti est celui des « hommes russes, » celui qui, en face de la révolution ou du libéralisme, prétend seul représenter la tradition nationale et l’esprit russe.

Aux révolutionnaires qui préconisent la chute du « tsarisme » et la substitution du peuple à l’Empereur, aux libéraux qui revendiquent le gouvernement du pays par les élus du pays sans distinction de races et de religions, ces « hommes russes » ont répondu hardiment en reprenant à leur compte la triple devise de Nicolas Ier et de l’absolutisme russificateur : « autocratie, nationalité, orthodoxie. » Profitant des fautes des libéraux et des crimes des révolutionnaires, ils ont montré la Russie menacée à la fois d’anarchie politique par le libéralisme, de décomposition sociale par les collectivistes et les « expropriateurs, » de dissolution nationale par les autonomistes ou les séparatistes.