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qui devait tourner au profit des partis extrêmes, le ministère obligeait les partis désireux de faire campagne pour les élections à solliciter, sous le nom barbare de « légalisation, » l’estampille gouvernementale. Cette invention bureaucratique ne semble pas avoir été heureuse. La légalisation fut refusée obstinément aux cadets, c’est-à-dire au principal parti de l’opposition libérale ; elle le leur a encore été durant les élections pour la troisième Douma, de façon que toute réunion publique leur est demeurée interdite. Le principal effort du gouvernement portait contre ces constitutionnels démocrates traités en révolutionnaires. Les cadets dominaient la première Douma, ils ne furent plus guère qu’une centaine dans la seconde ; à leur place, y entrèrent en grand nombre des socialistes collectivistes et des socialistes révolutionnaires, si bien qu’un bon tiers de la Chambre appartenait aux partis d’extrême gauche. En revanche, tandis que la droite était presque entièrement absente de la première Douma, il y eut dans la seconde un parti d’extrême droite, composé pour la plupart d’hommes violens, adversaires déclarés de la Constitution et du ministère.

Par suite, ces deux assemblées, vouées également à une mort rapide, offraient un spectacle fort différent. La première, selon l’antique coutume slave, s’efforçait, aux débuts surtout, de prendre des décisions unanimes. Dans la seconde au contraire, l’extrême droite et l’extrême gauche semblaient parfois rivaliser de colères et de violences pour rendre, par leurs mutuelles provocations, les séances inutilement orageuses afin de discréditer le régime constitutionnel aux yeux du pouvoir, comme aux yeux de la nation. Malgré cela, en dépit de quelques journées où les exaltés des deux partis faillirent en venir aux mains, ce serait une erreur et une injustice de se représenter l’une ou l’autre des deux premières Doumas comme plus bruyante, plus passionnée ou plus grossière que la plupart des assemblées des autres États de l’Europe. Si agitées et si turbulentes qu’aient été quelquefois leurs séances, aucune de ces deux Doumas russes, aux nombreux députés paysans, n’a encore donné le scandale des scènes qui, à Paris, à Vienne, à Budapest, à Westminster même, ont trop souvent déshonoré les mœurs parlementaires contemporaines. Les discussions du palais de Tauride étaient d’habitude non moins sérieuses, et non moins suivies, sinon toujours non moins vides et non moins déclamatoires que celles