Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les vers rêvés en Italie. D’ailleurs, il faut vivre. Bénies soient ces nécessités matérielles qui ont été l’unique origine de tant de chefs-d’œuvre ! Lamartine a vendu ses Nouvelles Méditations en février 1823 : les ayant vendues, il est bien obligé de les faire. Il s’y met, et le travail, rondement mené, est achevé au mois d’août. À cette époque, il vient à Paris, pour traiter d’une autre affaire : la vente du Socrate[1]. Le mauvais succès des Nouvelles Méditations, — aussi belles que les premières, mais sur qui on se vengea de l’accueil enthousiaste fait à leurs aînées, — n’a pas si fort découragé le poète, qu’il ne s’attaque à de nouveaux et plus hardis projets. Une bonne partie de l’année 1824 est consacrée à ébaucher les premiers chants du grand poème des Visions.

C’est sur ces entrefaites que, Lacretelle aîné étant mort, l’auteur du Lac et du Crucifix posa sa candidature à l’Académie.


PREMIÈRE RENCONTRE AVEC L’ACADÉMIE

À vrai dire, l’idée ne venait pas de lui. Il était de l’Académie de Mâcon ; pour l’instant, cela lui suffisait. Très sincèrement, il n’avait pas pensé à l’Académie française. Ses parens, qui étaient des gens de province et tenaient aux consécrations officielles, sa femme, qui était femme, y avaient songé pour lui. Il se laissa pousser. Il arriva à Paris, au début de novembre 1824, ayant promis de faire en conscience son métier de candidat.

  1. À Mme de Lamartine, à Mâcon, 29 août. « Ladvocat sort d’ici et n’a rien conclu. Lenormand est en pourparler aussi. Mais aucun n’a un sol de comptant. Je tiens bon, mais je crois que je remporterai le Socrate à Saint-Point. » A la même. Dimanche à cinq heures. « Eh bien, mon cher ange, tu m’as fait faire une sottise ! J’ai refusé les 6 000 francs de Socrate, et aujourd’hui je n’ai pu en avoir que le même prix en trois payemens : 2 000 mardi, 2 000 dans un mois, 2 000 dans deux ; mais j’espère mardi et mercredi pouvoir négocier sans perte et tout envoyer. C’est Ladvocat. À peine avais-je enfin donné ma parole ce matin, qu’une autre personne est venue me solliciter de le prendre pour six mille comptant à la minute. Ma parole était engagée. Je n’ai pas pu. Je le regrette bien. » Lamartine établissait ainsi le budget du ménage : « Nous voilà arrangés pour l’année prochaine assez bien d’ici au mois de janvier. Ta mère nous doit 8 400. Les Méditations 14 000. Socrate 6 000. Appointemens et pension 4 000. Saint-Point et Veydel 2 000. Chez La-hante 3 000. Naples 1 000. Total 38 400. Chez mon oncle 4 000. Cela nous fait 42400, d’où, en payant d’ici là dix mille, il nous restera une trentaine de mille francs disponibles à cette époque pour Montculot ou Paris. Nous n’avons vraiment qu’à remercier Dieu de ses soins miraculeux pour notre position ; et tu peux faire l’aumône sans te gêner. » (Le dernier trait vaut toute la lettre.)