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tendaient à une rupture ouverte entre les deux États. A Paris, le comte de Sartirane apprenait l’exécution du contrebandier et se rendait chez Rouillé. Il exigeait une audience immédiate de Louis XV. Rouillé dut l’accompagner à Versailles. « Le Roi Très Chrétien me parut déconcerté, écrit l’ambassadeur italien. Il toussa et cracha pendant quelque temps avant de me faire réponse. » « Enfin, dit Sartirane, il me répondit avec une voix qui tremblait. »

Quand il se retrouva seul avec son ministre, le Roi rentra en possession de lui-même. Pour la seconde fois, il prit une décision dans cette affaire et, pour la seconde fois, ce fut la décision juste. Il ordonna à Rouillé de se rendre aussitôt chez Sartirane pour lui annoncer que le roi de France enverrait un des grands seigneurs de la Cour, à Turin, faire publiquement des excuses au roi de Sardaigne.

A Turin, où la décision de Louis XV ne devait être connue que le 15 juin, la situation de l’ambassadeur français devenait de plus en plus difficile. La rupture entre les deux États était rendue officielle par le rappel de Sartirane, signé le 10 juin : Charles-Emmanuel enjoignait à son représentant de quitter la cour de France immédiatement et sans prendre congé. « Ce départ, écrit le duc de Luynes, fait une grande nouvelle. » Parmi les courtisans, on croyait à une rupture définitive. Seule la Gazette de France demeura impassible et, parmi les parades et les cérémonies de Cour, entretint ses lecteurs du « voyage de M. de Sartirane. »

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Louis XV choisit, pour l’ambassade extraordinaire auprès du roi de Sardaigne, le comte Philippe de Noailles, fils du maréchal de ce nom, lui-même soldat de carrière, et depuis 1748 lieutenant général ; au reste tout chamarré de cordons, de titres et de rubans ! Grand d’Espagne de 1re classe, chevalier de la Toison d’Or, bailli et grand-croix de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, gouverneur des ville et château de Versailles, etc, etc.

« Malgré toutes mes représentations, écrit le cardinal de Bernis, représentations qui furent fort vives, tant auprès des ministres que dans mes conversations avec Mme de Pompadour, le Conseil (du Roi) opina pour une ambassade extraordinaire, et le maréchal de Noailles ne dédaigna pas de solliciter cette commission