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Le 26 mai 1755, au matin, Léorier, greffier de la Commission, donna lecture à Mandrin du jugement qui avait été rendu l’avant-veille. Le contrebandier était condamné au supplice le plus épouvantable : à la torture, à la roue et les débris de son corps devaient être exposés aux fourches patibulaires. « Il en a ouï la lecture avec toute la tranquillité possible, » écrit au ministre de la Guerre l’intendant du Dauphiné.

Les sentences prononcées par la Commission de Valence sont conservées par centaines, ainsi que les dates où elles ont été exécutées. On constate invariablement un intervalle de quatre ou cinq jours entre la condamnation et l’exécution des contrebandiers envoyés au supplice. Il en est notamment ainsi des arrêts rendus par Levet de Malaval. En l’occurrence, on aurait eu une raison pour différer davantage encore, puisque la réclamation du roi de Sardaigne était instante. Tout le monde en parlait. « Cette restitution attire la curiosité de tout Paris, note l’ambassadeur sarde, le comte de Sartirane. On est persuadé que l’exécution de Mandrin étant le but principal des fermiers généraux, ils feront dépendre de là leur triomphe. » Le président de la Commission de Valence comprit qu’il importait d’exécuter le jeune contrebandier immédiatement. Il n’avait pu le faire dès le samedi soir, l’arrêt ayant été prononcé trop tard ; le lendemain était un dimanche. Malaval fixa donc au lundi 26 mai 1755 l’exécution de l’arrêt prononcé le 24. La date était aussi rapprochée que possible. Les fermiers généraux ne pouvaient demander mieux. Quant à Jean Saint-Pierre, le camarade de Mandrin, qui avait été saisi avec lui à Rochefort et qui était réclamé, lui aussi, par la cour de Sardaigne, il fut supplicié le 27, le jour même où il fut condamné. On pense à sœur Anne. Penchée au haut de la tour, elle attend avec une cruelle inquiétude les cavaliers libérateurs ; Malaval est au guet avec une égale anxiété ; mais ce qu’il craint, c’est que les cavaliers n’arrivent à temps.

Le jour de l’exécution, 26 mai 1755, la ville de Valence fut envahie par une foule venue de quinze lieues à la ronde. Que si l’on avait pu prévoir la rapidité que les juges mirent à faire périr Mandrin, l’affluence eût été plus grande encore.

« Mandrin sortit de sa prison, avec une constance et une fermeté sans pareille, » écrit Michel Forest. Il était pieds nus, en chemise, avec une torche dans les mains, les poignets et