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Mandrin et Saint-Pierre durent partir le jour même pour Valence, où les attendait M. Levet de Malaval, président de la « commission » instituée pour juger les contrebandiers, — tribunal aux gages des fermiers généraux. Les deux amis demeurèrent sur leur charrette ; mais les cordes qui les liaient furent remplacées par des chaînes. Une soixantaine de dragons les escortaient. Ils couchèrent la nuit du 11 au 12 mai à Voiron. On a des lettres de diverses personnes qui les ont vus durant le voyage. Mandrin fumait sa pipe : il avait l’air fier et tranquille ; avec ceux qui l’approchaient, il riait et goguenardait. Saint-Pierre au contraire était très abattu.

— Va, lui disait Mandrin, il ne vaut pas la peine de s’attrister, un mauvais quart d’heure est bientôt passé.

L’entrée dans Valence se lit le 13 mai, sur les huit heures du matin. Ce fut un brillant cortège. Les dragons de La Morlière chevauchaient sabre au poing. Devant eux des trompettes sonnaient une marche triomphale. « La curiosité était si grande, note l’annaliste Michel Forest, qu’on s’étouffait pour le voir passer. »


II. — LE SUPPLICE DE VALENCE

La Commission de Valence avait été instituée en 1733, pour connaître des délits dont les fermiers généraux pourraient avoir à se plaindre. Les juges en étaient directement payés par eux. De juge, en réalité, il n’y en avait qu’un, le président, qui nommait ses assesseurs et les révoquait à son gré. Pas d’avocats, pas d’instruction contradictoire, nulle publicité des débats. Les habitans de Valence n’apprenaient ce qui se passait devant ce tribunal mystérieux que par les contrebandiers qu’ils voyaient conduire à l’échafaud. Et c’étaient les supplices les plus affreux. Voltaire rangeait la Commission de Valence parmi les pires fléaux de l’humanité. Les Parlemens ne cessèrent de publier des remontrances virulentes contre ce tribunal d’exception, créé par des financiers et dans un intérêt de finance. Celui de Grenoble l’appelle « ce tribunal de sang. » « La Commission de Valence, dit-il encore, ne connaît d’autre règle, de règle unique que l’intérêt du fermier général, qui ne le stipendierait pas aussi chèrement, si ses procédures et ses jugemens ne le dédommageaient des salaires qu’il lui prodigue. » Ces commissaires,