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Fermes qui passent sur le bord opposé ! Argoulets et gâpians sont accueillis par des injures agrémentées d’une volée de pierres ; encore doivent-ils s’estimer heureux quand ils n’attrapent pas des coups de fusil. D’une rive à l’autre, on se tirait ainsi des coups de fusil ; car on imagine que ni les argoulets, ni les gâpians, ne laissaient de riposter.

Ces gens-là se fortifient tous les jours, écrit l’espion Marsin dans son rapport sur les contrebandiers, et il leur arrive journellement du monde de toutes sortes de nations. »

Le docteur Passerat de la Chapelle, qui les observe de Châtillon-de-Michaille, note aussi l’accroissement rapide des forces contrebandières, qui s’organisent en Suisse et en Savoie. Le baron d’Espagnac signale le nombre grandissant des recrues que Mandrin fait ouvertement. Celui-ci veut se constituer un corps d’un caractère rigoureusement militaire. Sa renommée, qui s’est répandue, lui attire des volontaires de toutes les parties de l’Europe. Passerat de la Chapelle estime que l’effectif des Mandrins s’est accru jusqu’au chiffre de 2 000 hommes. Et que ne devaient pas pouvoir entreprendre 2 000 hommes de cette trempe, sous les ordres d’un tel chef ?

Mandrin, animé par cette popularité rapide, a repris confiance. Il est entré en rapport avec les religionnaires des Cévennes qui préparent un nouveau soulèvement. Et déjà l’on entend les grondemens précurseurs de la guerre de Sept ans.

Le jeune capitaine a résolu de pousser sa nouvelle expédition jusqu’aux environs de Paris, où les fermiers généraux ont leurs maisons de plaisance, afin d’y enlever quelques-uns de ces « matadors de l’or, » qui se transformeraient entre ses mains en précieux otages.

Voilà qui devenait décidément mauvais. Les fermiers généraux ne pourraient donc plus couler, avec le calme nécessaire, une existence mollement corrompue en leurs palais magnifiques ? Ils risquaient de voir tomber sur eux, comme le tonnerre, des gaillards hirsutes, noirs de hâle, les mains rudes, les habits rapiécés, qui les arracheraient d’entre les bras parfumés de leurs maîtresses, pour les transporter à des de mulet, ficelés comme des andouilles de tabac, en des retraites inaccessibles.

Heureusement que Bouret d’Erigny, fermier général en