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sympathie : quand elle sera assez avancée, il y trouvera une grande tentation de tomber sur vous. » A quoi M. Hervé a répondu par des grossièretés telles qu’on n’en avait pas encore entendues dans un congrès international. « Je me fiche, s’est-il écrié, de la patrie française et de la patrie allemande, et je mets Clemenceau et le Kaiser dans le même sac. » Il y a même mis Bebel, qu’il a déclaré être aussi un Kaiser devant les moindres paroles duquel les socialistes allemands s’inclinaient dans un silencieux et ridicule respect. Le scandale a été grand. M. Jaurès a essayé d’arranger les choses avec des phrases, beaucoup de phrases ; mais Vollmar lui a répliqué : « Je ne veux pas vous suivre dans l’envolée de vos discours : je tiens seulement à affirmer la pensée des socialistes allemands. Il n’est pas de parti qui ait combattu le militarisme autant que la social-démocratie ; mais il n’est pas vrai de dire que l’internationalisme soit de l’antipatriotisme et que nous n’ayons pas de patrie. Tant que Hervé sera membre de votre parti, vous serez responsable de ses paroles. Si la motion Jaurès-Vaillant était adoptée, elle soulèverait le socialisme allemand tout entier. Jaurès et Vaillant ont affirmé qu’ils ne voulaient pas créer de difficultés au socialisme allemand ; eh bien ! qu’ils retirent leur motion. » Bebel avait déjà déclaré que si cette motion, qui était celle de Nancy, était votée par le Congrès, le socialisme allemand perdrait les trois quarts de ses forces.

M. le prince de Bülow a dit un jour à la tribune du Reichstag qu’il nous enviait nos socialistes. Nous les lui céderions volontiers si nous pouvions, sans rien lui demander en retour ; mais il a été, au moins par comparaison, injuste pour les siens. Quant à nous, c’est la rougeur au front que nous avons lu les discours prononcés par les socialistes français à Stuttgart et nous espérons bien que la France s’en souviendra. Leur échec a d’ailleurs été complet. Est-ce à dire qu’ils aient été catégoriquement condamnés ? Non ; M. de Vollmar a bien demandé que M. Hervé fût exclu du parti, mais on ne l’a pas écouté. Une différence de plus entre les socialistes d’aujourd’hui et les premiers chrétiens est que ceux-ci avaient le courage de condamner les hérésies et de se séparer des hérésiarques. Les socialistes actuels ne l’ont dans aucun pays. Les discours de Bebel et de Vollmar que nous avons cités ont été prononcés dans des commissions ; le ton des séances plénières a été singulièrement atténué, adouci, et, en fin de compte, le Congrès a voté une motion démesurément longue, obscure et confuse, de sorte que Bebel et Hervé ont pu la voter à la fois, le premier en pontifiant, le second en ricanant. Les deux armées