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de grand cœur, son idée allait trouver de nouveau l’appui de la loi ; le péril était toujours le même ; seulement, dans une société qui n’avait cessé d’évoluer, il s’était déplacé lui aussi ; il ne menaçait plus les enfans d’une classe restreinte et qui n’avait qu’à se corriger de son égoïsme ; il frappait par milliers les enfans de celles qu’un irrésistible mouvement d’attraction pousse vers l’usine, vers la grande ville, où tout leur manque à la fois, le temps, l’argent, le courage, le sentiment du devoir, les forces même pour accomplir leur fonction de mères.

Théophile Roussel, en proposant sa loi, n’avait été inspiré que par le souci le plus généreux. Il est certain que d’autres desseins, économiques, politiques, se mêlèrent à ce souci, dans les lois, décrets, circulaires qui se sont ensuite accumulés pour régler le travail des enfans. Sans doute, là encore, la société et la vie sociale que le Code civil n’a pas connues, créaient un danger : à l’âge où les forces ne sont pas complètes, où le corps a peine à se former, tout excès de fatigue est funeste ; les parens et l’enfant lui-même par désir de gain, le patron par impossibilité de refuser l’ouvrage, par indifférence, par crainte de la concurrence, fermaient les yeux à ce danger. C’était un motif pour que la puissance publique intervînt. Mais beaucoup d’esprits ne virent que le prétexte d’appliquer la théorie de l’étatisme, qui depuis a fait des progrès si rapides. Inspirées ainsi par des raisons fort diverses, les mesures législatives et autres n’ont pas été ménagées : en moins de quinze ans, deux lois, huit décrets, des circulaires ont limité la durée du travail des enfans, organisé une minutieuse surveillance. En réalité, la loi du 2 novembre 1892 contient le principe même de la réglementation qu’on n’a fait ensuite que développer et détailler. Elle interdit le travail des enfans qui n’ont pas treize ans révolus : elle décide que, au-dessous de seize ans, les enfans ne pourront pas travailler plus de dix heures par jour ; de seize à dix-huit ans, et les filles au-dessus de dix-huit ans, pas plus de onze heures ; elle défend enfin le travail de nuit. La règle est générale : elle s’applique à tous les établissemens. Une exception a bien été faite pour ceux où « ne sont employés que les membres de la famille sous l’autorité du père, de la mère, du tuteur ;  » la loi suppose que ce père, cette mère, ce tuteur n’abuseront pas du travail des enfans et elle les exempte de ses prescriptions. Toutefois, comme il faut avant tout sauvegarder l’intérêt de l’enfant, le même article qui