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tout le jour hors de la maison non seulement le mari, mais la femme ; le cabaret, la rue les prennent ensuite trop souvent l’un ou l’autre, et même l’un et l’autre. Ce méfait de la vie industrielle et de la grande ville s’est brusquement répandu avec la liberté des cabarets qui date de 1881. Mais il sévissait bien avant : il est dénoncé dès le milieu du XIXe siècle, et en même temps le danger de dissolution qui menace la famille. Que devient l’enfant dans cette existence du père et de la mère ? Quand trouveraient-ils le loisir de s’occuper de lui ? Il est souvent confié aux soins d’une voisine, et c’est encore une demi-sécurité : ou bien il est abandonné à lui-même, voué d’avance aux hasards de la rue. Que signifie pour lui la puissance paternelle du Code civil, l’institution d’ordre public qui a pour but de le protéger ? Quel est, pour son éducation et son avenir, le rôle de la famille à qui les législateurs de 1804 avaient remis le droit de le conduire, le devoir de l’élever ? Ces faits, cet état d’abandon émeuvent singulièrement des hommes qui ne se contentent pas d’observer, et qui s’inquiètent de corriger : à mesure que la civilisation, dans son développement matériel, crée de nouvelles misères, ils cherchent à les soulager. Nul ne fut plus infatigable et plus ingénieux dans cette tâche que Théophile Roussel. Il donna à la bienfaisance privée un élan et des directions qui l’ont transformée. Mais en même temps il aperçut que le mal était trop étendu, trop profond déjà et d’une nature trop nouvelle pour ne pas résister aux efforts individuels, et que la puissance publique devait intervenir.

Ceci est très significatif. Le Code civil et ses idées générales ne suffisent plus. Les faits sont trop différens, les mœurs ont changé trop vite, et, dans la France d’après 1850, la famille n’est plus cette cellule sociale, ordonnée et bien close, où l’on n’a qu’à laisser la vie se régler d’elle-même. La cellule est en partie désorganisée : il faut agir. La société tout entière, l’Etat, la loi vont se mettre en mouvement. Ainsi commence cette série de dispositions législatives qui jusqu’à aujourd’hui ont tâché, en restreignant la puissance paternelle, de rendre meilleur le sort de l’enfant. Il ne serait pas juste d’ailleurs de dire qu’elles ont visé à abattre cette puissance : plus exactement on constate qu’à mesure que la famille et le père se montraient plus incapables de leur fonction et comme indifférens, elles ont voulu les suppléer : ce résultat, souvent, n’a pu être obtenu qu’à la