Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force ; toutefois elle a désormais pour but la protection de l’enfant.


III

Au cours du XIXe siècle et jusqu’à maintenant, cette condition de l’enfant s’est singulièrement transformée.

Un livre, en 1762, le livre de Rousseau, avait profondément ému l’opinion et fourni aux jurisconsultes de la Révolution les idées abstraites qu’ils revêtirent de ces formules rigides dont ils avaient le goût. Ce sont des livres encore qui, au XIXe siècle, vont créer un grand mouvement d’opinion d’où peu à peu se dégageront, dans la jurisprudence et dans la loi, des règles juridiques ; seulement la préparation cette fois aura été complète, et ces règles se présenteront non plus abstraites, mais vivantes. Né de Rousseau, le romantisme a exercé sur la sensibilité française et particulièrement sur la sensibilité populaire une influence qui dure encore. A l’exaltation sentimentale, au lyrisme attendri où il s’est plu, il faut attribuer sans doute tant de poèmes, tant de littérature sur l’enfant. C’est un livre qu’il faudrait écrire pour parler de tous les livres consacrés à l’enfant. L’attention du public, cette attention où l’être tout entier, intelligence et sensibilité, se sent pris, l’enfant l’a fixée sur lui. Il reste entendu que c’est sa famille qui veille à son bien-être : c’est son père qui a seul autorité sur sa personne : mais l’opinion publique se constitue l’observatrice de ces soins et de cette autorité. La Société tout entière a été trop fortement touchée par l’éloquence des poètes, des dramaturges et des romanciers : après tant de poésies, tant de romans et de romans-feuilletons, tant de mélodrames, elle pense unanimement… « Il est abominable qu’un enfant souffre : un enfant ne doit pas souffrir.  » Elle est prête à le protéger contre ceux qui l’oppriment, à faire triompher son intérêt contre les règles qui paraissent contraires. Encore un peu, cet état de l’opinion et de la sensibilité publiques prendra forme de loi. On en trouve d’abord le reflet dans la jurisprudence où c’est à la fois l’intérêt de l’enfant et le pur sentiment qui sont préférés au principe d’ordre public.

S’il est un droit qui, d’après le Code civil, paraisse intangible au profit du père, c’est bien celui de garde, c’est-à-dire le droit d’avoir son enfant auprès de lui ou de le placer dans un