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Fénelon et de Rollin n’avaient pu obtenir et n’avaient même tenté. Non seulement il posa le problème de l’éducation sur la donnée nouvelle du devoir des parens ; non seulement il saisit l’opinion avec cette éloquence irritante et passionnée qui fait vivre à jamais toutes les idées qu’elle touche, les plus fausses comme les plus saines ; mais l’Emile fut le premier livre de l’enfant. Il révéla que, depuis la naissance jusqu’à l’âge viril, tandis que l’être se forme lentement, son âme qui s’empare de l’univers sensible subit des émotions d’une merveilleuse variété et d’une incroyable puissance. On comprit, avec l’Emile, que nulle fiction ne pouvait être plus touchante que l’étude, même à peine romanesque, d’une âme d’enfant. Le succès extraordinaire de ce livre devait avertir les romantiques, dans le siècle suivant, qu’une mine littéraire féconde entre toutes était à exploiter. En 1762, et jusqu’à la Révolution, il imprégna fortement les esprits. Tous ces hommes l’avaient lu, et aussi l’article « Education » de Rousseau dans l’Encyclopédie, qui vinrent s’asseoir sur les bancs des Assemblées et qui entreprirent de faire la France nouvelle.

Cambacérès s’exprimait ainsi, en présentant à la Convention, le 9 août 1793, le rapport sur son propre projet de Code civil :

« La voix impérieuse de la raison s’est fait entendre : il n’y a plus de puissance paternelle : c’est tromper la nature que d’établir ses droits par la contrainte.

« Surveillance et protection, voilà les droits des parens ; nourrir et élever, établir leurs enfans, voilà leurs devoirs.

« Quant à l’éducation, la Convention en décrétera le mode et les principes.

« La nourriture ne se prescrit pas, mais rien n’est indifférent dans l’art de former les hommes…

« Les enfans seront dotés en apprenant, dès leur tendre enfance, un métier d’agriculture ou d’art mécanique…  »

Cambacérès, on le voit, confond un peu le Rousseau de l’Encyclopédie et celui de l’Emile ; il met tout ensemble l’éducation démocratique, le droit naturel, le souci de former « les hommes » et le « métier d’agriculture ou d’art mécanique.  » Il énonce ainsi, en formules également absolues, des idées distinctes : la suppression de la puissance paternelle, l’ingérence de l’État dans l’éducation. Toutes les lois du XIXe siècle sur la condition de l’enfant sont dans ces formules. Mais le temps n’est