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de cachet : la volonté du père, le bon plaisir du roi ou simplement du lieutenant de police, suffisaient pour faire arrêter et détenir un fils, une fille contre qui étaient invoqués des motifs de mécontentement : les Parlemens prétendaient sans doute exercer un contrôle, mais cette prétention plutôt théorique ne visait pas à diminuer la puissance du père. Une autre sanction pouvait frapper les enfans en révolte ; c’était l’exhérédation. Le père recevait de la coutume le droit de dépouiller absolument le fils ou la fille qui avaient démérité. Sans doute les cas d’exhérédation étaient spécifiés ; ils étaient tous graves, ils demeuraient exceptionnels : ce n’était qu’une menace suprême. Mais la privation de toute part héréditaire et de la « légitime » même, dans un pays qui a toujours eu le culte de l’héritage, indique assez quelle force l’opinion des jurisconsultes et les mœurs reconnaissaient à la puissance paternelle.

Dans la société de l’ancien régime, la place de l’enfant et sa condition juridique se trouvent ainsi nettement définies. Sa place est dans la famille ; la famille s’occupe de lui, en tous cas répond de lui, la puissance publique se décharge sur elle de tous soins, et comme conséquence se garde d’intervenir. La condition juridique s’est fixée d’après ces habitudes : dans le Midi, c’est un pouvoir absolu ; dans le Centre et le Nord, c’est une autorité si bien acceptée que la Coutume n’en dit rien. Jusqu’à la Révolution il en est ainsi, du moins jusqu’à la veille. Un fait considérable se produit en 1702 : Rousseau publie l’Emile : pour la première fois il affirme les « droits de l’enfant,  » et, en passionnant l’opinion publique tout entière pour le problème de l’éducation, il menace, il restreint déjà la libre autorité du père de famille. C’est en effet, aussitôt, l’opinion qui impose aux parens, du moins dans les premières classes sociales, le souci de l’éducation. Toutes les mères veulent allaiter leurs enfans : elles veulent qu’on sache qu’elles les allaitent : même au théâtre, elles donnent le sein. Les pères s’enthousiasment pour l’apprentissage d’un métier manuel : leurs fils seront plus tard seigneurs, avocats ou marchands ; enfans, ils doivent être serruriers, menuisiers, etc. Cet étrange mouvement d’éducation, excité par l’homme le plus durement indifférent à ses propres devoirs de père, eut ses excès et ses ridicules. Il tourna toutefois au profit de l’enfant. Rousseau fit ce que ni les admirables chapitres de Rabelais et de Montaigne, ni les sages conseils de