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II

L’enfant est soumis jusqu’à sa majorité ou son émancipation à la puissance paternelle. C’est donc la nature, l’étendue et les fins de cette autorité qui fixent sa condition juridique.

Dans l’ancienne France, les pays du Midi, suivant le droit écrit, c’est-à-dire le droit romain, avaient recueilli de lui la puissance paternelle telle qu’il l’avait établie : les enfans étaient maintenus toute leur vie sous l’autorité du père : la majorité n’y changeait rien, et pères à leur tour, les fils demeuraient soumis à cette puissance. Est-ce là, dans ce droit sévère et dur, qu’il faut chercher la vraie tradition française ? On la trouverait plutôt dans les pays coutumiers du Centre et du Nord : pour les personnes et pour les biens, le droit civil s’y est en effet lentement formé sous l’action changeante des mœurs : comme elles, il a été divers suivant les temps et suivant les lieux. Précisément, à la veille de la Révolution, il en était arrivé à considérer que la puissance paternelle n’avait pas besoin qu’il la consacrât et qu’elle devait se régler suivant les mœurs : les coutumes étaient donc muettes. On n’eût rien trouvé, dans tous ces pays, qui ressemblât au pouvoir absolu des pays de droit écrit : toutefois le père y exerçait une autorité qui parait despotique au regard des idées même du Code civil. Il l’exerçait parce que d’anciennes habitudes la lui avaient donnée : le respect s’était maintenu dans les formes, comme dans les sentimens la soumission. L’autorité est partout dans cette société. Pour diriger, parmi les actes de la vie journalière et dans le détail de l’existence privée, des enfans, des jeunes gens, des hommes et des femmes jeunes, elle arme fortement le chef de chaque famille qui répond pour son groupe du bon ordre social : pour l’éducation de l’enfant, pour la conduite du jeune homme, pour le mariage, c’est donc le chef de groupe, le père qui décidera souverainement : la société s’en rapporte à lui. La loi, ici, n’a pas besoin de parler : tout le monde est d’accord qu’il y va d’un intérêt supérieur et qui ne souffre pas de discussion. Avec de telles habitudes et des idées si fortement enracinées, les sanctions importaient peu. Il en était deux toutefois, d’un effet redoutable et sûr. La première, résultant des habitudes mêmes et de l’absolutisme politique plus que de la loi, était celle des lettres