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mousquetaires ; les pages du Roi y étaient l’arme à la main… il y eut un accord si parfait des efforts de la cavalerie le sabre à la main, et de l’infanterie la baïonnette au bout du fusil, que la colonne fut foudroyée… »

Les débris de l’héroïque phalange se retirèrent à pas lents.

J’ai insisté un peu longuement sur cette belle version du duc de Broglie, parce qu’elle me paraît tracer de main de maître la physionomie générale de notre vaillante armée de 1745, et qu’elle fait bien ressortir l’entrain et le dévouement des combattans. Elle réagit aussi contre les exagérations de Voltaire, et laisse entrevoir, pendant toute l’action, l’influence directrice du général en chef, du maréchal de Saxe, dont elle met en relief le talent et la haute valeur.

Et néanmoins, dans ses dernières et éloquentes réflexions sur cette glorieuse journée, le duc de Broglie constate que « ce qui la caractérise[1], c’est moins le mérite du commandement (quelque justice qu’il faille lui rendre) que l’ardeur incomparable et presque joyeuse de la troupe qui fut sous ses ordres. C’est moins le général, que l’armée, qui a été immortalisée par ce qu’on peut appeler la légende de Fontenoy. Ce qui survit dans la mémoire populaire, ce ne sont pas les manœuvres savantes qui, de part et d’autre, ont assuré ou disputé la victoire ; ce sont les charges de cavalerie venant se briser, huit heures durant, contre une muraille vivante ; ce sont ces dialogues d’homme à homme, et ces prises de corps à corps, qui semblent des pages détachées d’un roman de chevalerie… »

« Oui, c’était un beau jour, le dernier de l’ancienne France. Elle était là tout entière, resplendissant de tous les joyaux de sa couronne… »

Et le duc de Broglie termine en rappelant « la grâce qui parait alors le front de la France d’une beauté si originale ; cette élégance qui n’ôtait rien à sa force ; cette finesse délicate des mains qui maniaient si légèrement l’épée ; ce clairon des batailles, entraînant comme la musique d’une fête ; cette gaieté qui souriait jusque dans la mort ; tout cet éclat qui charmait le monde et séduit encore l’histoire… »

  1. Marie-Thérèse, Ier vol., p. 446.