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pour un merveilleux batailleur, toujours prêt à tout risquer et sans prévision pour le lendemain. Et le voilà tout à coup qui se révèle, dans l’épreuve redoutable du haut commandement, comme un chef prudent, prévoyant, sachant assurer le service avec une autorité régulière et paternelle, sachant choisir magistralement ses positions pour résister à toutes les entreprises de l’ennemi, pour l’user, le lasser, et le forcer de bonne heure à renoncer à toute opération pour l’hiver.

La postérité est moins surprise ; car elle connaît la belle œuvre posthume du maréchal de Saxe, devenue classique, Mes Rêveries, dans laquelle il apporte, avec une véritable hauteur de vue, son contingent aux règles de l’art militaire, malheureusement « couvertes de ténèbres, » parce que ceux qui les ont pratiquées d’instinct, n’ont pas pris soin, comme lui, de les écrire.

Ce qui est étonnant, c’est que Mes Rêveries aient été écrites en 1732, à une époque où Maurice de Saxe n’était encore « qu’un royal[1]officier de fortune, guerroyant pour l’amour de la vaillance comme un chef de bande du moyen âge… en quête d’aventures et de plaisirs… Et c’était au sein de cette ivresse de fêtes et de combats qu’il s’était posé à lui-même avec une curiosité savante, et qu’il avait su résoudre avec une intelligence consommée les problèmes les plus délicats de l’art militaire. »

Le duc de Broglie a bien raison. On a le droit d’être surpris de voir sortir un chef-d’œuvre de bon sens pratique, et en même temps de connaissance élevée du cœur humain, de la plume d’un homme tout au plaisir et à l’action comme Maurice de Saxe. Sa vie et son éducation militaire nous permettront peut-être de mieux le comprendre :

Maurice de Saxe a débuté dans la vie militaire à l’âge de douze ans ; il fut confié au comte de Schulembourg, qui commandait en Flandre le corps saxon dans l’armée impériale ; et il assista, sous la direction de cet officier général, au siège de cette même place de Tournai, auprès de laquelle il devait tant s’illustrer plus tard.

Dix ans après, ayant déjà guerroyé un peu partout, et notamment sous le prince Eugène, il entra au service de la France comme maréchal de camp, en 1720.

À ce moment, il s’occupa avec soin et méthode de

  1. Marie-Thérèse impératrice, Ier vol., p. 358.